Des rats dans la bibliothèque

« Qu'est-ce qui t'empêche d'être juste un super-héros au fond ? C'pas comme si t'avais l'école des Supers à 20km d'ici… » En cette belle soirée, un peu pluvieuse mais parfaite pour un vil chenapan dans mon genre, cette question du sbire des ressources humaines me résonnait dans la tête. Qu’avais-je répondu déjà, à l’époque? Bah, c’était sans importance car j’allais bientôt pouvoir donner une nouvelle réponse.
Ah, l’interdit, quel doux mot. Certains y verraient une ligne à ne pas franchir de peur des conséquences. Moi j’y voyais une limite à dépasser, une occasion de me surpasser. C’était ça l’esprit shonen, après tout. Bon, est-ce que beaucoup de shonen suivaient les aventures d’un super vilain...? Ah, mais c’est que je tenais un concept! Peut-être que si ma carrière foire, j’écrirais un manga relatant l’histoire d’un apprenti super vilain. Le jeune Roger Dupont, qui, riche de sa volonté de foutre le bazar et de fuir son job à temps partiels à Burger King, rentrerait dans une des écoles de super méchants les plus prestigieuses au monde. « My vilain academia? » serait-il un bon titre? Meh, il fallait un truc plus japonais que ça! « Boku no maou academia » peut-être? Ouai, ça sonnait bien ça.

Mais bref, je m’égarais dans mes pensées en attendant mon complice de soirée dans les toilettes les plus proches de la bibliothèque. Pourquoi cet endroit? Et bien je n’avais pas envie de me faire griller par le premier surveillant faisant sa ronde qui passait.
Quel sérieux de notre part, n’est-ce pas? Réviser à une heure si tardive que même le couvre-feu n’allait pas tarder à s’endormir. Tant d’abnégation, j’en pleurerais presque d’émotion! Au menu du soir: mise en application de nos enseignements d’échafaudage de plans machiavéliques. Le train à destination de la réserve interdite n’allait pas tarder à partir!
Pour dire vrai (vrai), j’avais un peu agi sur un coup de tête en entendant parler du pouvoir du nouvel oméga. Une sorte d’omniscience, après tout, ça vend du rêve. L’idée de lui proposer de s’introduire dans le sanctuaire des bouquins n’était pas nouvelle dans ma tête. J’avais prévu de le faire tôt ou tard, à l’instant même où j’en avais entendu parler. Mais là, ça devenait possible. Je lui en avais donc parlé très rapidement après sa venue à l’institut, et il avait dit oui.
Vous savez, il y a des personnes avec qui vous sentez tout de suite que le courant va bien passer et d’autres non. Et là, je le sentais bien. Un pouvoir utile, un sens du risque, de l’aventure. Ce rouge avait toute les qualités que je recherchais chez un copaing. Bon, sauf peut-être l’argent mais c’était un autre sujet. Bref, il me restait plus qu’à l’attendre patiemment.

L’avantage principale d’attendre quelqu’un dans les toilettes restait quand même que l’on pouvait sans problème se vider la vessie. Ce fut donc peu de temps après m’être servi des infrastructures locales que mon complice arriva, tout de noir vêtu. J’avais à peine eu le temps de me laver les mains, car oui l’hygiène c’est important, et je n’avais même pas eu le temps de les sécher.

« Pas idiot la tenue, j’aurais dû faire la même chose » dis-je en secouant mes mains vers lui, l’arrosant au passage de quelques gouttelettes. « Bon, le plan. »

Clairement, mon plan aurait pu tenir sur une moitié de post-it tant il était simple. Mais le dire ainsi n’était clairement pas vendeur et il me fallait honorer sa confiance après tout. Ceci étant dit, j’étais plutôt sûr de moi malgré la simplicité de ce que j’avais prévu.
J’avais donc opté pour la méthode dite du politique, à savoir un beau sourire pour cacher le reste. Par contre, j’allais éviter la partie consistant à prendre une voix forte et assurée, c’était carrément pas le moment. Surtout que se faire gauler dans la bibliothèque était une chose mais se faire prendre dans les chiottes en était une autre. Bonjour l’image publique quoi.

« Alors, pour faire simple, je devrais pouvoir m’occuper des portes, des cadenas et autres obstacles avec mon pouvoir. Le problème, c’est qu’il ne pourra être efficace que si j’ai le temps de trouver quoi dire et si j'ai l’information comme quoi il y a un truc. Et ça, c’est ta partie. Ton rôle, c’est de trouver où sont les caméras et autres machins du genre. Ah, et de faire en sorte qu’on ne tombe pas nez-à-nez avec un pion au coin d’un virage. »

Diantre, pour un plan m’ayant demandé si peu de temps de réflexion, il sonnait plutôt bien! Mais soudain, je sentis la force quitter mes jambes tandis que mon corps se dirigeait droit vers le sol. Le temps de fermer mes yeux par réflexe en voyant le sol se rapprocher beaucoup trop vite et je me retrouvais par terre, le nez collé à celui d’un petit bibelot en bois.  
La chute n’avait pas été trop dure, je ne m’étais pas fait mal. Enfin, mon amour propre avait été souillé mais c’était autre chose, et ce n'était clairement pas assez important pour empiéter sur ma bonne humeur.

« Ah oui… tomber nez-à-nez, en effet... » dis-je tandis qu’un second bibelot apparaissait pour se coller à mon nez et que je pris conscience que Cléo aussi avait fait les frais de mon étourderie.

Je me relevais alors et essayai d’enlever les deux bibelot de mon nez, sans succès. Bon, ils allaient bien finir par disparaître.

« Désolé pour ça. Bref. Avant que tu ne dises un truc, pas de jeux de mots ou d’expressions imagées s’il te plait. C’est pas le moment de faire une série. » lâchais-je à mi-voix et en parlant légèrement du nez « Bon, et bien si tout est bon pour toi, on y va! » dis-je, luttant pour contenir mon excitation.