Module de savoir : Culture Générale Héroïque

Je m’efforce de rester calme concernant les personnes qui arrivent en retard. Et pour celles qui me saluent, je choisis de les ignorer. Je préfère écouter les réponses des élèves et certaines sont bien plus pertinentes que je ne le pensais. Finalement, il y a peut-être quelques étudiants qui peuvent espérer avoir un semblant d’avenir, dans le coin. Pas comme celui du fond là, qui dort et qui doit croire que je ne le vois pas. Tant pis pour lui. C’est peut-être le cas avec d’autres professeurs mais en ce qui me concerne, les rayures rouges de son uniforme ne vont certainement pas le sauver des mauvaises notes. Après, ce sera à lui d’assumer. D’autant que moi, mon avenir est fait. Contrairement à lui qui n’est pas même pas certain d’en avoir un. Je reporte mon attention sur ceux qui ont au moins le courage de participer un minimum au cours. Dommage, pourtant, que ce joli lancé soit gâché par deux idiots - l’un d’entre faisant d’ailleurs partie du groupe du fond à l’origine et il aurait peut-être dû y rester, finalement. Les disputes dans mon cours, sincèrement, très peu pour moi. Surtout quand elles partent de manière aussi stupides. « Dites, vous deux… Si vous voulez vous battre, je ne vous retiens pas mais par contre, faites-le dehors. On a beau être dans une école de super-vilains, je ne tolérerai pas que vous mettiez le bordel dans mon cours. Me suis-je bien fait comprendre ? », je lance en les regardant tour à tour. J’ai conscience que l’un est rouge et l’autre jaune mais s’ils se mettent à perturber cette classe, je ne vais certainement pas hésiter pour les jeter dans le couloir. « Vous avez tous les deux donné des noms intéressants mais j’aimerais aussi entendre les avis de vos camarades avant que nous ne passions à la suite et qu’éventuellement, nous en débattions. », j’attends d’être certain que ce soit clair dans leur tête avant de me concentrer sur les autres réponses. Je reste sceptique sur certaines propositions mais globalement, elles sont toutes justes. En revanche - et ça, ce n’est pas surprenant -, ce sont quasiment tous des super-héros qui travaillent pour les plus grosses firmes du monde que sont Marvel et DC. Ce n’est pas vraiment une critique. Ils font réellement parties de la culture populaire depuis plus de dix ans. Ce qui fait que même ceux qui ne sont pas initiés au monde des Supers connaissent leurs noms. Soit. Il y a tout de même de quoi travailler avec ce qui est déjà dit.

Je suis prêt à l’accepter et je m’apprête à reprendre la parole… Jusqu’à ce qu’une élève - grise, de surcroît - vienne partager ses pensées au dernier moment. Elle me surprend en donnant des identités qui sont plus que viables. C’est une bonne idée de puiser dans la mythologie grecque - même si ça me fait mal de l’admettre. Elle recèle beaucoup de héros dont quelques-uns qui ne peuvent compter que sur des capacités purement humaines. « Desmarais, c’est ça ? », je demande en visualisant dans ma tête et du mieux possible, le trombinoscope que j’ai regardé avant de venir. Associer les noms aux visages demande un petit effort mais ce n’est rien d’insurmontable. « Vous êtes familière de l’oeuvre d’Homère, L’Odyssée ? Je dois dire que c’est une référence intéressante. Les Grecs nous ont effectivement laissé quelques mythes non-négligeables. Utiles pour un bon apprentissage, aussi bien du héros que du vilain. », je réponds en me faisant intérieurement la remarque que je ne m’attendais pas à ce niveau de culture. Mais tant mieux. A vrai dire, je préfère être surpris dans ce sens-là plutôt que dans l’autre. Je juge surtout à l’uniforme quand j’ai besoin de me défouler. Mais en cours, chaque élève est, disons, logé à la même enseigne. « Vous en conviendrez tout de même qu’il n’est pas simple d’imaginer ces héros évoluer dans notre monde actuel. Mais vous avez peut-être une idée différente à ce propos… ? », c’est là aussi, l’intérêt des cours. Certains élèves peuvent avoir des réflexions intéressantes et dans le cas présent, je suis capable d’accepter que j’ai tort si elle me présente des arguments logiques et qui tiennent la route. Oui, je commence doucement, avec quelques débats. Je dois dire que ça me permet de “prendre la température” et de voir ce que je peux faire pour la suite.

Une nouvelle fois, je reporte mon attention sur l’ensemble des étudiants présents dans l’amphithéâtre. J’attends quelques secondes avant d’estimer que plus personne n’a quoi que ce soit à ajouter. Bien, il y a déjà de quoi faire avec tous les noms qui ont été donnés. « Finalement, pour ceux qui ont pris la peine de participer, vous êtes moins incultes que je ne le pensais. », autant dire les choses franchement : à la base, je n’avais pas beaucoup d’espoir, surtout après en avoir vu certains. Je suis rassuré, un peu… Le cours va pouvoir continuer et être un minimum constructif. C’est ce que j’espère, en tout cas. « Bien, maintenant, gardez en tête les noms que vous avez cités. Ou essayez d’en conserver quelques-uns. », j’attends un peu, le temps qu’il fasse leurs choix. Puis, je continue. « Selon vous, qu’est-ce qui fait qu’ils entrent dans la catégorie des super-héros sans pouvoir ? Quelles limites donneriez-vous à ce terme ? Il me semble que l’un d’entre vous a cité Iron Man. Tony Stark est un génie des sciences. Et ses capacités cérébrales ne sont pourtant pas considérées comme un super-pouvoir. », un des rares super-héros qui mérite qu’on s’y attarde, d’après moi. Mais bon ça, ça relève du goût personnel. Du reste, ce que je leur demande est subjectif et est surtout du ressort de leur propre ressenti. Je ne pense pas qu’il y ait de bonne ou de mauvaise réponse. Là, je teste surtout leurs aptitudes à la critique et à l’analyse. Tout en essayant de leur faire voir ces super-héros d’une manière différente. Autrement que comme des machines à fric - même si, dans les faits, c’est ce qu’ils sont.

Spoiler:

Je suis du genre à faire des cours dynamiques et à ne pas rester bloqué des plombes sur un élève, surtout si celui-ci n’a plus envie de s’exprimer. C’est une perte de temps pour moi, pour lui et pour tous les autres. Et dans le pire des cas, je n’ai rien contre une réflexion un peu tardive tant qu’elle reste pertinente. Alors en attendant un éventuel éclat de génie de la part de Desmarais, je continue mon cours, axant mes paroles sur le programme que j’ai prévu pour la séance d’aujourd’hui. Étonnement, les choses se déroulent plutôt bien et je n’ai plus à servir entre ceux qui voulaient se battre - d’ailleurs, ils ne quittent pas ma salle de classe, j’en arrive donc à la conclusion qu’ils ont abandonné l’idée de se mettre sur la tronche. C’est un peu dommage quelque part mais au moins, je n’ai plus à supporter leur débat à la fois houleux et complètement stérile. Tant qu’ils se tiennent tranquille, je n’ai pas grand-chose à leur dire. Néanmoins, il semble que Desmarais ait une illumination après que j’ai donné mes consignes. Curieux d’en savoir un peu plus sur son raisonnement, je l’écoute sans l’interrompre. Ralentir le cours n’est pas un problème si les échanges sont constructifs et il n’est pas peu dire que celui-ci l’est. « Vous me donnez beaucoup d’exemples mythologiques ou médiévaux mais vous avez raison. », c’est un fait : énormément de licences et de contrats connus de la pop culture actuelle tirent leurs racines d’époques fantasmées. Il faut dire que des périodes comme le Moyen- ge sont propices à la fantasy. Créatures imaginaires, démons, sorcières... Le bestiaire médiéval regorge de créatures plus atypiques les unes que les autres. De quoi nourrir l’imagination de ceux qui fondent ces univers. Parfois aux dépens d’une réalité historique mais ce n’est en rien le débat du jour. Pour ce qui nous intéresse, la demoiselle a bien compris qu’elle ne deviendrait pas une grande super-vilaine sans s’en prendre plein la figure avant. Cela étant, ça n’a rien d’un secret puisqu’au moment de l’inscription dans cet institut, c’est une question clairement évoquée. « C’est une bonne analyse. En tant que super-vilain, n’importe quoi peut vous être demandé. Même revenir quelques siècles en arrière peut être une clause de l’un de vos contrats si le héros en décide ainsi. Les mythes peuvent nous aider à comprendre comment évoluer convenablement dans un tel environnement. », même si ça n’empêche pas que les héros sont particulièrement chiants quand ils ont des demandes aussi précises et pénibles à mettre en place. Quoi qu’il en soit, la discussion avec la grise est intéressante mais il convient de poursuivre le cours. Alors je mets en place ce que j’avais en tête, demandant aux étudiants de se pencher sur les héros qu’ils ont choisi et d’expliquer pourquoi ils n’ont pas de pouvoir ainsi que les faiblesses que ça peut engendrer chez eux mais également leurs forces. Ces héros ne sont pas à sous-estimer même si certains paraissent moins dangereux. A part Stark, il y a par exemple Ant-Man qui peut faire sourire avec sa technologie - non, ce n’est pas un don - qui lui permet de contrôler les fourmis et pourtant, bien utilisé, ça peut avoir ses avantages tout comme savoir grandir ou rétrécir à volonté. Ce qui est réellement déterminant, c’est l’utilisation qu’on en fait. Et l’heure passe... Et elle n’est pas aussi ennuyeuse que je ne l’aurais pensé en premier lieu. « Très bien, c’est terminé. Pensez à revoir ce qui a été fait aujourd’hui pour la prochaine fois, on ne sait jamais... », contrôle ? Peut-être, peut-être pas. En attendant, la sonnerie retentit et les élèves se lèvent pour quitter petit à petit l’amphithéâtre, me laissant finalement seul.

Fin du cours: