Soupir n°1 - Me voilà !

Nous y voilà, première journée de boulot terminée ! C'était le plus grand bâtiment dans lequel j'ai eu à bosser, pfiou. Quant aux collègues... c'est un petit peu beaucoup chelou de porter la même blouse que des zombies, on va pas se mentir. En plus Nadège la porte mieux, c'est injuste (enfin je suppose qu'elle s'appelle Nadège, vu que c'est le badge qui pendouillait accroché à son vêtement). J'avais fait que le hall ce matin, je découvrirai et intégrerai les ailes du bâtiment à ma mémoire au fur et à mesure. De toute façon, j'ai vite compris que je ne serai pas trop contrôlé sur mes heures de travail. En tout cas, c'est pas mes collègues qui me balanceront. (Sérieux, des zombies ? Quel monde de barges...) D'ailleurs, j'ai arraché un des plans du bâtiment affichés dans les couloirs, pour en avoir toujours un sur moi, pliée en mille dans la poche arrière de mon pantalon. Je le remettrai quand j'aurais le plan bien en tête, il manquera à personne d'ici là. Roh ça va, c'est moi qui le nettoie le bâtiment, je suis respectueux, je vais pas l'abîmer, je remettrai j'ai dit.

Ce soir, je me dirigeais donc vers le dortoir des Fils et Filles à Papa pour y retrouver mon cher Neville. Je dis ça au premier degré, je l'apprécie réellement ce gosse, allez pas croire. Je sais, je dis "ce gosse" alors qu'on a que 4 ans d'écart, mais franchement, hein... C'était le seul des alcooliques anonymes pris sous mon aile depuis toutes ces années avec qui j'étais venu à partager une relation presque fraternelle. Les autres jusque-là étaient toujours restés dans un cadre semi-amical semi-professionnel, je restais le bénévole d'association. Enfin, je continue de recevoir des cartes de vœux de la plupart, ça réchauffe toujours le cœur. Neville avait été le plus attachant, le plus "petit frère à protéger". C'était déjà pas drôle d'être alcoolique, de se l'avouer, mais quand en plus c'était dû à un truc intrinsèque, génétique (l'adjectif que vous voudrez), c'était encore plus dur. Évidemment, je ne jouais pas le grand frère, je restais pro, il m'arrivait simplement de parfois m'attendrir.

Donc bref, si j'avais réussi à dégoter un emploi dans ce fichu institut, c'était pas pour mon petit plaisir personnel, c'était pour l'aider lui en étant plus proche, plus disponible.*
Je ne m'attendais pas à me retrouver juridiquement attaché à quelqu'un un jour. Quand il m'a demandé si j'acceptais d'être désigné comme son curateur, j'avais cligné des yeux. Plusieurs fois. Puis j'ai enfin demandé "c'est à dire ?". Comme quoi, j'étais la personne la plus objective de son entourage, déjà à même de lui porter secours et soutien, et que mes années dans le Mouvement Alcoolique anonyme aidait à peser dans la balance pour me porter garant sur ses signatures importantes et l'aider à remonter la pente dans les années à venir. Ah ben... super ? Me voilà donc officiellement en charge du clone de Jésus, seulement quelques mois après l'avoir rencontré, jusqu'à ce qu'il soit en capacité de prouver qu'il peut se prendre en main. C'est parti ! Je me donnais deux ans, car c'était ma durée moyenne pour remettre un pauvre gars sur pattes, même si la montagne semblait plus haute avec Neville.
Et je ne voulais pas perdre de temps.
On avait parlé ensemble avec Neville de la meilleure manière de l'assister, même s'il m'avait fait le coup de faire le geste c'est pas grave de sa main en dédramatisant "pffrt, je suis très indépendant, t'inquiètes paaaas". J'avais continué à le fixer jusqu'à ce qu'il abdique et qu'on parle plus sérieusement. C'était pas compliqué, il vivait un coup chez sa vieille et un coup à l'Institut et j'allais clairement pas crécher chez sa vieille, j'avais cru comprendre qu'il pourrait y avoir des risques pour moi là-bas. Dire qu'une vieille était plus dangereuse pour moi qu'un bâtiment rempli de gens aux pouvoirs variés à la morale douteuse, Armande incluse. Quel monde de barges. De toute façon, ça tombait parfaitement avec la fin de mon dernier contrat de travail, j'avais besoin d'un nouveau job.

Je marche enfin dans les couloirs jaunes, je croise plusieurs jeunes qui ne faisaient pas attention à moi. J'avais troqué ma blouse rose clair pour ma tenue de civile tendance sombre avec une veste claire à carreaux par-dessus mon t-shirt et mon pantalon anthracite. Ma tête tourne à chaque porte que je dépasse, je lis les noms pour moi-même, bouche entrouverte. Ah, là ! Neville Leblanc. Je toque et j'attends.

*[et il est vrai que je n'ai pas non plus résisté à la demande d'Armande...]