Module de savoir : Culture Générale Héroïque

Se faire sucrer son salaire du premier mois, c’est vexant. Le genre de truc qui reste en travers de la gorge. Qui vous met bien de bonne humeur à chaque cours dispensé gratuitement, pendant un mois entier… à des gamins qui préfèrent davantage passer leur temps à faire mumuse avec leur pouvoir plutôt qu’à s’investir pour réellement apprendre ce qu’est un vrai super-vilain. Est-ce que je l’ai mauvaise ? Oui. Clairement. Tout ça à cause d’un sous-fifre recruteur qui m’a posé une question à laquelle j’ai eu le malheur de répondre. Bon, je ne suis pas en manque d’argent, c’est vrai. Mais j’estime qu’on a jamais assez - ni trop - de billets en poche. Comment faire dans ces cas-là pour ne pas envoyer six pieds sous terre le premier élève contrariant ? Eh bien, avec un self-contrôle à toutes épreuves, du café - beaucoup de café - et… De temps en temps, je débarrasse l’Institut d’un incapable, oui. Je reste un Super avec des émotions, tout de même ! Et puis, je ne suis pas débile. Ce sont ceux avec un uniforme gris qui y passent. Personne ne fait attention à leur disparition. Mais bon, ça reste rare malgré tout. Des fois, il m’arrive tout de même de me demander pourquoi j’ai accepté de venir enseigner ici. Alors, je me rappelle qu’il est parfois possible de croiser certaines perles. Des pouvoirs surpuissants, des personnes intelligentes, des personnes avec du fric aussi. Beaucoup. De Fric. Voilà pourquoi je me lève tous les matins et que je me force à supporter le lot d’incapables qui est fourni avec.

Soudainement.

Je me sens un tantinet mieux. Et heureusement parce que je vais bientôt donner un cours. Assis sur une chaise, dans la salle des profs, café dans une main et un croissant dans l’autre, j’attends l’heure fatidique où je vais devoir quitter ce sanctuaire de tranquillité pour entrer dans la jungle qu’est une salle de cours. Je pousse un soupir, me résignant à l’inévitable. Je finis mon café d’une traite et mon croissant d’une bouchée. Je me lève, non sans tapoter ma veste pour faire tomber les miettes de ma viennoiserie sur le sol. Ce sera pour le service d’entretien. Au pire, ils m’enverront une facture. Au risque que ça devienne une habitude. Je prends mes affaires au passage et je me dirige vers la salle, tel un conquérant. « Boarf, tu fais comme d’habitude et ça va bien se passer. Dis-toi que tu auras le plaisir de refiler la patate chaude à tes collègues par la suite. », je me dis à moi-même. Et quelle patate chaude ! Un des moments les plus plaisants de ma journée, sans aucun doute. Enfin, j’ouvre la porte de la salle, je pose mes affaires à côté du bureau et je pose mes fesses sur la chaise à disposition. L’entrée est laissée grande ouverte afin que les étudiants soient certains de ne pas se tromper d’endroit.

Bientôt neuf heures du matin.
Allez, les mioches, on vient se cultiver…

Petit à petit, les étudiants viennent remplir les places vides de mon amphithéâtre. Les places du fond sont étonnamment prises d’assaut tandis que celles du devant ont beaucoup plus de mal à trouver des volontaires. Mais ça ne m’inquiète pas plus que ça. S’ils veulent tous rentrer, il va bien falloir que certains se dévouent de toute façon. Et oui, c’est comme ça, ils ne vont pas tous pouvoir s’asseoir au fond ou au milieu. Certains pénètrent dans la pièce en me disant “bonjour” et je me contente de leur répondre d’un simple signe de la tête. Je ne sais pas s’ils font ça pour essayer d’avoir des bons points mais si c’est ça, ils perdent leur temps. La lèche ne fonctionne pas avec moi et pour ceux qui me voient pour la première fois, ils vont rapidement le comprendre. Je suis tout de même surpris de voir que quelques étudiants n’ont pas peur de directement se mettre face à moi. Ceux-là, je me dis qu’ils ont un certain cran et qu’ils peuvent être intéressants. Pour d’autres en revanche, je me demande ce qu’ils font ici. Je pense notamment à ces quelques idiots qui discutent, là-haut, tranquillement et l’air de rien. Est-ce qu’ils se rendent seulement compte que je les observe d’en-bas, confortablement installé sur ma chaise de bureau ? J’en doute. Autrement, ils auraient déjà pris la peine de se taire après que l’un d’eux ait fait un signe aux autres en disant : les gars, le prof nous regarde. Et paf, le silence complet. Mais non, ils continuent de papoter. Très bien… Je me racle la gorge, je me redresse sur ma chaise et j’approche doucement ma bouche du micro, installé pour que tout le monde puisse entendre. « Les cinq blaireaux du fond, vous voulez que je vous apporte une boisson et des biscuits, peut-être ? », le premier qui a l’audace de répondre oui, je m’occupe personnellement de son cas. « On n’est pas au club med ici alors vous vous asseyez et vous la bouclez ! », non mais sans blague, ils se sont crus où ? Le seul moment où ils ont éventuellement le droit de l’ouvrir, c’est pour participer au cours et pas autrement.

Franchement, il n’y a qu’un bon haussement de voix qui soit réellement efficace. Les autres techniques pédagogiques pour obtenir l’attention de ses élèves, c’est de la merde. Et pourtant, ils ont insisté pour me les faire entrer dans le crâne quand j’ai passé ce stage obligatoire pour venir enseigner ici ! Il n’a duré que très peu de temps mais c’était déjà un calvaire. Peu importe, ce n’est ni l’endroit, ni le moment de ressasser ces vieux déboires. En observant les étudiants qui sont présents dans l’amphi, je constate que certaines têtes me sont inconnues alors que d’autres m’évoquent des souvenirs vagues. Sûrement à cause des cours précédents ou de la réunion d’orientation du début d’année. Je remarque que certains noms ne sont pas là et ceux-là, je ne risque pas de les rater la prochaine fois que mon chemin croise le leur. Quoi qu’il en soit, il est temps de commencer avant que les pipelettes ne reprennent leurs bavardages incessants. « Bien, bonjour à tous… Pour ceux qui ne me connaissent pas… Déjà, révisez vos super-vilains. », non parce que j’ai quand même bien roulé ma bosse dans le métier pendant plusieurs années. Un véritable apprenti super-vilain doit avoir un minimum de connaissances et a forcément entendu parler de moi. « Ensuite, pour les incultes, donc… Je suis, pour vous, le Professeur Leclercq. », avec un C et un Q s’ils ne tiennent pas particulièrement à passer par la fenêtre.

Je fais une pause, le temps d’attraper le micro portable. Je me lève de ma chaise et je me place au centre de la petite estrade ; le dos droit, les yeux levés dans leur direction, scrutant le moindre mouvement. Je suis prêt à réagir immédiatement si l’un d’entre eux tente de faire le guignole. Du reste, nul besoin de notes. Je sais que beaucoup de professeurs se sentent rassurés à l’idée d’en avoir avec eux pendant qu’ils racontent leur cours. Tout comme je sais que d’autres lisent littéralement leurs papelards où tout est soigneusement écrit. Pour ce qui me concerne, je suis de la catégorie de ceux qui ont tout dans la tête. Pas besoin d’avoir des feuilles commes des étudiants faisant leur exposé. Les sujets que j’enseigne, je peux me vanter de suffisamment les connaître sur le bout des doigts pour me permettre d’opérer de cette manière. Et puis, ça fait beaucoup plus naturel, plus spontané. « En voyant le titre de ce module, vous avez dû vous demander « pourquoi ?», « pourquoi ils nous foutent un cours qui parle exclusivement de super-héros alors qu’on veut être des méchants ? ». », évidemment qu’ils se sont posés la question, pas foutus de réfléchir trente secondes. Pourtant, c’est évident. Et ils doivent bien savoir que l’Institut Trueman ne laisse rien au hasard. « Eh bien sache, René-Jean, petit futé que tu es, que c’est une question à la fois légitime et stupide. »,  je continue en levant les bras au ciel, comme pour signaler une évidence. Vous vous attendiez à quoi, franchement ? « Les moins ignorants d’entre vous auront sans doute déjà entendu parler de la phrase : « Garde tes amis près de toi mais tes ennemis encore plus. ». Ici, c’est le même principe qui s’applique. », jusque-là, ça ne doit pas être trop compliqué de suivre, même pour les plus débiles de l’assemblée. « En gros, ce module sert normalement à vous permettre de connaître les moindres secrets des super-héros pour que vous puissiez leur faire face convenablement. Connaître leurs faiblesses, être capable de réagir à leurs actions de la bonne manière, etc. Être un bon super-vilain ne s’improvise pas. Savoir contre qui on se bat, c’est primordial. Pour vous, pour offrir un combat épique au Super qui vous paye pour être sa Némésis, pour le peuple qui sera ravi de vous voir prendre cher et enfin, pour gagner un max de thune. », avec ça, j’espère qu’ils ont compris l’intérêt de ce cours théorique. Il n’est pas à prendre à la légère et il est bien qu’ils en prennent rapidement conscience. Si tant est qu’ils en soient capables. Et vu la gueule de certains, c’est loin d’être gagné.

« Je sais que la plupart d’entre vous ont une préférence pour les cours pratiques et je peux le comprendre. Cela dit, croyez-moi, négliger ces cours de culture n’est pas une bonne idée. », aussi bien sur les super-héros que sur les super-vilains. Même si logiquement, ils sont censés être un peu plus au point sur le deuxième. Mais là n’est pas la question, ce sera à voir plus tard. « Pour ce premier cours héroïque... », je l’admets, ça m’écorche un peu la bouche de prononcer ces mots. « Je souhaite partir sur une catégorie de super-héros assez particulière et bien distincte. Les super-héros sans pouvoir. Certains arrivent à se faire une place dans le métier de différentes manières. Je vous demande de me citer les super-héros que vous connaissez et qui rentrent dans cette catégorie. », on commence doucement. Ce n’est pas bien dur, ça. D’autant qu’il y en a pas mal qui n’ont aucun pouvoir et qui, pourtant, comptent parmi les plus connus. Bien, c’est là que je vais voir qui possède un minimum de culture de base, avant que je ne remplisse leur petite cervelle d’informations qu’ils vont galérer à retenir. Et qui leur vaudront un zéro aux examens. A moins que certains en valent vraiment la peine...

[HRP]Pour les élèves qui auraient souhaité venir mais qui n’ont pas pu le faire avant, sachez que c’est toujours possible ! La seule conséquence InRP actuellement, c’est que vous serez considérés comme des retardataires.[/HRP]