Paris et ses gens pressés comme des oranges, Paris et sa pollution sonore, Paris et l'interminable Dame de Fer. La Tour Eiffel couvait du regard sa populace comme l'aurait fait le palmface d'une entité divine. Fallait dire que les parigots avaient de quoi consterner, sans jugement vraiment. Ou alors un tout petit peu. Pour leur défense, c'était là le propre de toutes les grandes villes.
Mais les effluves de la capitale glissaient sur Azalée comme l'eau sur les plumes d'un cygne. Elle était trop occupée à claudiquer jusqu'à son parc préféré pour prêter attention aux remous locaux. Arnaud la limace sur son épaule droite, Didier la mygale sur la gauche, la jeune fille appréciait de sentir l'herbe chatouiller ses orteils pâles. Elle avait décidé de quitter l'Institut pieds nus afin de ne pas s'encombrer de ses converses Dior. La plante de ses petons était cornée à force même si Emma lui filait volontiers sa râpe électrique.
Malgré ses panards dénudés, Azalée était vêtue chaudement en cet après-midi d'automne. Elle déambulait dans le parc les mains sagement enfouies dans les poches de sa polaire. Jusqu'à ce qu'elle aperçoive un banc où les graffitis amoureux s'entassaient pêle-mêle avec les dessins de fesses.
Avec une énergie inattendue pour une boiteuse, Azalée sauta à pieds joints sur l'assise.

- Si je te promets tous les jours de ma vie sans un regreeeeet ! Peux-tu me jurer un amour infini à jamaiiiiiiis ! Je ne veux pas mentir ! (pirouette sur elle-même) Je ne veux pas trahir ! (elle leva haut la jambe gauche) Ni même le penser ! (elle sauta du banc).

Cocorico, Azalée adorait les comédies musicales françaises. Elle se retrouvait en particulier dans Mozart l'opéra-rock mais n'était pas contre beugler des chansons de la légende du Roi Arthur.
Malgré tout ce tremblement de terre, Arnaud et Didier étaient toujours vissés sur ses épaules. Les mains graciles de la jeune fille vinrent les cueillir pour les poser délicatement sur l'herbe.

- Allez jouer à chat ! Didier, laisse Arnaud gagner un peu, tu veux bien ?

Bien sûr qu'il voulait bien. Didier n'avait d'yeux que pour son amie et irait décrocher la lune avec l'une de ses huit pattes pour elle. Azalée releva le museau et son regard croisa celui d'un corbeau qui les regardait. Avec un regard affamé.
Aza eut à peine le temps de réagir que le corbeau fondit sur Arnaud et l'emporta dans les airs.

- HÉ ! NON ! LÂCHE ARNAUD ! LÂCHE-LE !

L'oiseau se contenta de la regarder avec un air moqueur. Mais on était où là ? Dans un p*tain de bouquin d'Edgar Poe ?!

- Kerzh da gac'hat e Menez Are ! (va chier aux Monts d'Arrée) siffla Azalée entre ses dents.

La jeune fille serra sa canne dans ses mains, prête à l'envoyer comme un boomerang sur le corbeau.

 

Azalée était tentée d'aller quémander l'aide de Barbie afin qu'elle balance un Jacques a dit bien saucé au corbeau. Pourquoi ne pas lui ordonner de s'ouvrir le thorax avec son propre bec ? Mais deux problèmes majeurs se posaient ; le temps que la jeune fille traîne sa sœur jusqu'au parc, l'oiseau de malheur aurait déjà fichu le camp. Puis, elle n'était même pas sûre que le pouvoir de Barbara fonctionne sur la faune.
Azalée s'entendait d'ordinaire bien avec les animaux, sans éprouver envers eux le même amour inconditionnel qu'Emma. Néanmoins, elle avait toujours eu en grippe ces méchants volatiles. Quand on connaissait son pouvoir, l'équation du pourquoi de cette mésentente était facilement résoluble.
La Rouantelezh pointa sa canne sur le corbeau comme si elle tenait une mitraillette. L'inutilité de la chose méritait d'être soulignée et Azalée tapa du pied pour évacuer sa frustration de ne pas pouvoir venir en aide à son ami. La jeune fille s'imaginait déjà le scénario ; Arnaud enlevé, elle devant placarder des affiches avec la photographie de l'escargot pour le retrouver.
Le bruissement des feuilles mortes lui fit tourner la tête. Un homme s'était approchée d'elle et tendait la main. Sous les yeux horrifiés d'Azalée, le corbeau lâcha Arnaud et alla se poser sur la menotte ouverte du monsieur. Son sang se fit qu'un tour. Elle bondit en avant et ses paumes jointes vinrent amortir la chute de l'escargot. Arnaud s'était recroquevillé dans sa coquille et tremblait comme une feuille. Soupirant de soulagement, Azalée se redressa et caressa le mollusque d'un doigt apaisant.

- Tout va bien, mademoiselle ? Max Junior Junior vous embête ?

La jeune fille releva le nez et roula des yeux.

- Bin, Max Junior Junior a failli becqueter Arnaud et c'est moyen cool ça.

Une fois que ses yeux eurent terminé de rouler, ils se posèrent sur l'inconnu. Qui ne l'était pas tant. C'était qu'Azalée avait une très bonne mémoire, tant visuelle qu'auditive, et elle reconnu les traits de ce visage. Il s'agissait de Théophile Pierce, un professeur de l'institut. Tout en furetant à droite à gauche pour retrouver Didier, elle reprit la parole d'une voix plus douce :

- C'est gentil de vous préoccuper de moi, monsieur Pierce et...BORDEL DE CUL DE MAMMOUTH, OÙ ES-TU DIDIER ?!

- …Qui est Didier ? Du moins, qu’est ce que c’est ? Un autre…escargot ? Max Junior Junior aime manger les escargots donc ça ne me surprend pas, mais je m’assurerais qu’il ne fasse aucun mal à vos amis.

Azalée ne répondit pas tout de suite à monsieur Pierce. Elle était bien trop occupée à chercher frénétiquement Didier qui était capable de se faire transpercer par les dangereux talons aiguilles qui fourmillaient dans le coin.
Elle poussa un nouveau soupir de soulagement lorsqu'elle aperçut l'une de ses huit pattes derrière une petite forêt de pissenlits. La jeune fille tomba à genoux et se saisit délicatement de Didier qui se frotta contre son pouce, heureux d'avoir retrouvé son amie. Azalée leva la tête vers le professeur.

- Didier est une mygale ! répondit-elle comme si s'agissait d'une évidence.

Elle se redressa et posa délicatement les deux invertébrés sur ses épaules habillées d'un sweat large tout en jetant des regards méfiants à Max Junior Junior.

- Je pense que Didier aurait pu se défendre mais en effet, Arnaud a peur des corbeaux. Ce qui est normal, hein pépère ? dit-elle à l'adresse de l'escargot dont on aurait pu entendre un ronronnement si on avait eu l'ouïe assez fine. Et si les escargots pouvaient ronronner. Azalée reporta son attention sur monsieur Pierce. Il n'avait pas l'air de se rappeler d'elle, chose somme toute assez normale quand on considérait le nombre d'étudiants à l'institut. Il fallait ajouter à ça qu'elle ne portait pas son uniforme au liseré rouge. Je suis Azalée Rouantelezh, étudiante oméga à l'institut trueman. C'est sympa comme nom, Max Junior Junior. Le fils de Max Junior je suppose ?