Convocation

Basilio avait finalement décidé. Le voilà devant le bureau d’Orian Harker. Hey ! Personne n’avait dit qu’il avait réfléchit sagement ni intelligemment ! Il était carrément porté par un égocentrisme fulgurant voulant emmerder cet idiot de professeur ! Mais arrivé devant le fameux bureau, le fauteuil du garçon se figea et il resta plusieurs secondes à observer la porte. … D’un côté, il voulait revoir cet idiot. De l’autre… Un Harker par jour, c’était suffisant. Et surtout, il ne comprenait pas cette sensation, ce mélange de sentiments étranges qu’il éprouvait pour l’homme. C’était la première fois qu’il ressentait ça et c’était… dérangeant et fireux. Comme si ça l’empêchait de réfléchir correctement et concrètement ! Prenez l’exemple actuel : il avait préféré se jeter dans la gueule du grand méchant loup de l’Institut directement (même s’il ne connaissait aucunement ce crétin de professeur il était certain qu’il n’arrivait pas à la cheville du Harker en termes de niveau de saloperie) plutôt que d’aller expliquer juste ce qu’il s’était passé à l’autre adulte…

D’un autre côté, il se demandait s’il ne faisait pas ça aussi inconsciemment pour protéger Lotre. Pour ne pas avoir à la balancer une seconde fois. Il eut un rictus à cette pensée. Comme si elle allait s’en soucier. Elle était la nièce de Mila et une verte, elle avait un passe-droit exceptionnel et qu’elle soit balancée ou non, elle s’en ficherait bien ! Mais non, ça n’était pas une raison pour faire une seconde fois le collabo. Si cela n’allait certainement pas surprendre Lotre ou la décevoir (elle devait être habitué et avoir un avis tranché sur lui), Basilio serait une nouvelle fois déçu de son acte. Et se décevoir lui-même était quelque chose qu’il détestait.

…

Le fauteuil finit par faire demi-tour et se diriger à l’autre bout de l’administration. Et les yeux bleus qui squattaient l’appareil se mirent à lire les noms sur les étiquettes de chaque porte. Wood. Encore une fois Wood. Press (… ils n’avaient toujours pas réutilisé son bureau ? Manque de professeur ?)… Leclercq… White…Kingsley… Ah, lui il ne le connaissait pas. Sullivan… Ah, oui, le trou du cul qui s’était fait cramer par la petite sœur d’un élève lors d’une journée portes-ouvertes, il était en cendre lui. Ah, bien fait pour lui, ça lui faisait le pied à cette sous-merde … Moore… Voyant la blancheur de l’étiquette, elle avait été changé il y a peu. Ca devait donc être là. Après une grande inspiration (et un long, trèèèèèèès long soupir…), il toqua, attendit une réponse puis rentra, tout simplement. Tout en se rendant compte que rien n’était fait pour les handicapés ici, décidement.

Professeur de mise en scène ? De dramaturge ? De théâtre ? Le professeur, derrière son bureau, dos à lui, lui offrit cette impression en tout cas et Basilio s’amusa à trouver les pires matières qui iraient bien à son arrogance. Quel crétin. Et face à ça… l’adolescent ne se laissa pas faire et laissa son menton se poser dans sa main, bras replié sur son accoudoir. Il l’avait entendu rentrer. Qu’il parle, ça n’était certainement pas au brun de supplier cet idiot pour qu’il lui adresse la parole.

Ok, tout ça était trop bizarre pour Basilio. Pourquoi le regard hautain de tout à l’heure avait fait place à un regard si… étrange ? C’était quoi ça ? De la peine ? Une envie de pleurer ? Ca ne déstabilisait tout de même pas physiquement -mentalement si- l’adolescent qui resta de marbre dans son visage agacé. Pas question de lâcher son regard. Son regard bleuté. Qui lui rappelait.

Damn.

Shit.

Mierda.

Kuso.

Il venait de se passer quoi là ?

Est-ce qu’il venait vraiment de voir le professeur être remplacé par le physique de sa sœur Jumelle ? Est-ce que cette idiote venait vraiment de se jeter dans ses bras ? … EST-CE QU’ELLE S’ÉTAIT VRAIMENT FAITE EMPLOYER PAR L’INSTITUT TRUEMAN EN TANT QUE PROFESSEUR ?!

Une étrange boule d’émotion le prit soudainement au ventre alors qu’elle l’enlaçait en s’excusant dans toutes leurs langues parlées. Il resta coï de nombreuses secondes, clignant bêtement des yeux, son visage perturbé par de nombreux tics nerveux et passation d’émotions face à tout ça.
Sa sœur.
Jumelle.

Lucina Tsumi.

Était là.

Dans ses bras.
L’information eut beaucoup de mal à être digérée. Il eut même besoin d’observer sa longue chevelure, seule chose qu’il pouvait voir d’elle dans leur position, pour s’assurer que c’était bien elle. Et elle avait beau avoir une couleur de cheveux très répandue… Il aurait reconnu sa chevelure entre mille.
Il lui fallut du temps donc, mais une réaction arriva enfin.

« Crétine. »

Ça n’était que de l’amour. De l’amour vache, mais de l’amour pur et dur comme seule Lucina pouvait connaitre de la part de Basilio. Ce dernier finit par enlacer à son tour sa jumelle en la serrant dans ses bras. Il avait encore du mal à y croire. L’information montait trop doucement au cerveau. Il avait besoin de voir son visage, peut-être, vraiment, et la seconde ou il avait pu l’entrevoir ne lui avait pas suffit. Surtout qu’elle était en plein metamorphose. Alors, essayant de se détacher d’elle… le poids de leurs deux corps réunis fit basculer les jumeaux ou du moins, le fauteuil, dans un vacarme monstre ou Baz entendit sa propre voix s’y mêler.

…

… Ok, tout allait bien. Ça ne faisait pas du bien au dos mais… Il s’en fichait. Il en rigola même en fait, après une seconde ou il se traita, avec sa sœur, d’idiots. Mais au moins avec tout ça, il pouvait vraiment la prendre dans ses bras.

« Tu m’as manqué, stupide créature. » dit-il dans un ton chaud et retrouvant leur argot avec un immense plaisir, lui mettant du baume au coeur.

Débilio. C’était sûrement le surnom le plus idiot au monde mais Basilio l’adorait, surtout entendue sans aide d’un téléphone. Juste avec la voix claire de sa sœur, en direct, à ses côtés. Dans ses bras. Bon, leur position n’était pas des plus confortables -le fauteuil était encore dans l’équation et il sentait ses jambes être dans un sens peu sympathique pour des sensations futures- mais pour le moment, tant qu’il ne ressentait rien, il s’en ficherait.
Collé à sa sœur, il profitait, jusqu’à… Ce qu’elle s’éloigne elle-même une pointe, histoire de lier leurs yeux complices jusque dans leur couleur.

Bon, ça n’était donc pas Basilio qui gachait tout pour une fois ? Les rôles s’échangeaient ? A croire que son année dans l’institut Trueman l’avait rendu au final plus sentimental envers sa famille ? (Ca expliquerait le mail envoyé à Holden…) C’était bien Lucina qui calmait leur étreinte ? Bon, tout juste, mais bon sang, c’était son rôle d’habitude !

« Si tu veux qu’on ait une discussion, aide-moi à virer la chaise d’abord, je vais avoir des crampes sinon. » dit-il en se soulevant légèrement, essayant de dégager l’objet encombrant du milieu avec l’aide de Lucina. N’hésitant pas au final à le repousser le plus loin possible de leur duo, Baz retomba sa tête au sol et récupéra sa sœur dans ses bras. Il n’avait jamais été très affectueux en général mais… avec sa famille, et plus précisément son beau-père, sa tante et sa jumelle… quelques étreintes étaient quémandées. Et là, ça faisait bien trop longtemps. Surtout vu l’état dans lequel l’institut et tout ce qui l’entourait, le mettait.

C’est donc en squattant bien correctement entre le bras et le torse de sa jumelle, tête sur son épaule, qu’il se réinstalla confortablement, venant serrer sa taille et fermer ses yeux.

« Et on s’en fout d’elle, ç’aurait pu être n’importe qui… T’en formalise pas. … Ferme ta porte à clef. Je te préviens, je ne bouge pas, démerde-toi pour y arriver sans me déranger. » Petit con un jour… Petit con toujours. Mais taquin. Et rempli d’amour pour son clone féminin.

« Dé-mer-de-toi. » articula Basilio avec un sourire de crapaud fier de sa vengeance. Lucina avait osé le laisser dans sa merde, à réparer son fauteuil et à le laisser se débrouiller pour y remonter alors… Non, il ne lui en voulait aucunement. Mais c’était le jeu, ma pauvre Lucinette et elle avait un frère terriblement joueur en terme de mesquinerie… Surtout avec elle. Et bon dieu, que c’était drôle de torturer quelqu’un qui le lui rendait avec la même affection… Même si cette torture était bien différente de celle qu’il faisait endurer à Altéa, ou même à un simple élève de l’institut. Ca ne se jouait clairement pas dans la bonne catégorie.

« Comme ça la prochaine fois tu penseras à trouver un minimum d’empathie dans ton personnage du prof BCBG que tu m’as sorti… » Il eut un petit rictus et rajouta « Au pire, j’accepte qu’on fasse barrage contre la porte en se décalant un peu. Mais c’est toi qui sera contre la porte. » Douce vengeance, doux amour.

« Et si on se détache, dis adieu à tout ça. » Alias le câlin. Trop dur à prononcer, c’était clairement une faiblesse de sa part après tout mais… Lucina était bien la seule personne devant qui il acceptait de se montrer faible. Prêt à se déplacer -et à fournir tout de même un minimum d’efforts pour que leur lien ne se brise pas dans le déplacement, mais ça, il ne l’avouerait pas- il ajouta « Papa est au courant de ta bêtise ? Ou Lancelot ? » Maman ? A quoi bon. Elle n’avait été qu’un utérus un peu trop fertile et trop con pour se protéger avec Adrian.

Deux vers de terre. Ou deux andouilles. Dans tous les cas, ils étaient ridicules et le rire de Basilio se faisait entendre encore une fois. C’était peut-être la première fois qu’il résonnait autant en si peu de temps, en comparaison sur plus de douze mois mis bout à bout. Rares étaient ceux d’ici qui avaient pu entendre ce son cristallin. Ca faisait même bizarre pour Basilio de s’entendre rire aussi innocemment. Chacun de ses rires ici avaient été jaunes ou moqueurs. Pas… De simples rires d’un adolescent heureux. Et quand il s’en aperçut, il termina son dernier éclat par un sourire silencieux, en se disant que… ça lui faisait du bien. Il pensait avoir à vivre une journée éprouvante, juste bonne à terminer en allant se coucher après cet épisode de l’ascenseur avec Lotre. Qui avait ensuite débouché sur un moment de cafard à écrire un mail à leur oncle défunt mais… Non. Cette journée était peut-être la plus belle qu’il passait entre ces murs, en fin de compte.

« Aïeuh ! » répondit une voix gamine et chatouillée, avant de se réinstaller correctement sur son épaule, levant ses yeux vers le visage de sa sœur. … Ok, les murs de l’école allaient s’écrouler ou quelqu’un allait faire une attaque, Basilio ne pouvait s’empêcher de rigoler encore une fois face à la réponse à sa question. Personne (ni même un batiment) ne pouvait être assez prêt pour accueillir un Baz d’aussi belle humeur. Puis, ses neurones décidèrent de se connecter et une moue attristant ses lèvres étirées apparut.

« T’es juste qu’un professeur ici ? Pas une élève ?... On ne pourra pas se voir souvent… » Altéa n’était pas encore sa colocataire à cette époque-là : il était encore seul dans sa chambre pour deux. Désarçonné, il se releva sur un de ses coudes, peut-être… Déçu ? « …Pourquoi t’as fait ça ? Papa aurait accepté de payer si tu avais été mis chez les gris. Et tu sais très bien que tu aurais été chez les Omégas. Enfin, je crois… Je suis sûr de rien avec les gens de cette école… Mais tu compliques tout avec ce personnage. c'est stupide. » Est-ce qu’elle cherchait quelque chose à prouver ? Voulait-elle s’amuser ? Alors qu’en rejoignant sagement les élèves, ils auraient pu être libres de se voir, tout aurait été bien moins compliqué ! Ok, c’était fini, il lui en voulait un peu, du moins, en ne comprenant pas ce qu’avait sa jumelle en tête avec un tel plan. Peut-être qu’il comprendrait, une fois ceci expliqué ? Ça y est, le mode câlin était terminé, un air plus sévère et adulte habitant les traits du Tsumi, il releva son torse complètement, ajustant ses deux jambes pour cette nouvelle position.

Mais c’était quoi cette expression ? Pour toi. Je l’ai fait pour toi. Gna gna gna. Il n’y avait AUCUNE logique derrière pour Basilio, à part celle d’une personne se compliquant la vie (et la sienne) pour absolument RIEN ! Face à ses deux premiers mots, Baz ne put retenir un roulement des yeux et une grimace mauvaise pendant qu’il accrochait ses bras autour de ses jambes repliées contre son torse.

« Ça t’ennuyait d’étudier ? » C’en était vexant. « Tu t’es pas dit que si moi je préférais étudier ici plutôt que chez les héros, c’était parce qu’il y avait du potentiel dans certains de leurs fichus cours ? Genre je viens ici pour voir le temps passer à travers des modules sans intérêt ? » Non, Baz ne se prenait pas pour de la merde. « Non mais j’hallucine... » murmura-t-il en se tirant les traits du visage avec ses doigts, essayant de garder son calme. « M’inclus pas dans tes plans foireux, sérieux. Dis pas que tu es venue pour moi quand c’est juste pour nourrir ton égo à travers un plan stupide sans queue ni tête. Sans déconner Luce’, t’as 16ans, et tu vas jouer le rôle d’un 30enaire ? Tu vas apprendre quoi aux cassos de cette école ? Et tu vas prendre qui comme exemple à suivre pour jouer ton prof là ? Papa ? Lancelot ? Non, mieux encore, Holden ? Et puis t’as vu la gueule de ton prof là ? Il est bon pour attirer toutes les minettes en chaleur du quartier, niveau discrétion, t’as déjà fait mieux… » Ok, il se peut qu’UN PEU d’agacement se soit échappé. Inspirant une grande bouffée d’air, Baz se frotta les yeux avant de se pincer l’arête du nez. « Tu veux pas… abandonner ton personnage et t’inscrire normalement ? S’il te plait ? » Parce qu’il avait besoin de sa sœur à n’importe quel moment. Surtout vu la période qu’il traversait… Alors déjà que partager du temps avec elle aurait été compliqué de base, si en plus il devait faire attention à ne pas être proche d’un professionnel du mal...

Cela n’avait duré que quelques minutes. Des rires s’enlaçant comme leurs deux protagonistes, de l’amour, un peu de joie et une pincée de bonheur… Evidemment, c’était trop beau pour que ça continue trop longtemps. Et pour une fois… ce ne fut pas de la faute de Basilio. Certes, la colère venait de lui tout comme le pétage de plomb qui avait séparé leurs corps, refusant de continuer à l’étreindre alors que Lucina jouait à la parfaite petite idiote… Mais tout était de sa faute ! La stupidité était maladive chez les Tsumi ? Enfin, une toute autre forme de stupidité que les gens lambda, on parlait là… D’une stupidité qui naissait à partir de deux choses : un surplus d’intelligence et une envie hautaine que de jouer. Et Lucina était en plein dedans, bravo. Baz avait tenté de lutter contre lui-même le temps de lui faire une demande mais… c’était un échec au final.

« Ça n’a pas l’air, ça l’est. » corrigea Basilio dans un grognement qui lui valut quelques gerbes d’électricité au bout de ses doigts tandis qu’il remettait son fauteuil sur ses roues. Un rictus mauvais se rajouta après la fin de la demande de sa chère et tendre soeur. « Fait pas comme si tu allais m’écouter si je te demandais d’arrêter cette supercherie. C’est exactement ce que je viens de faire et tu as ignoré ma demande. » Est-ce qu’il faisait la gueule ? Oui, clairement. Il détestait quand… quand… Quand Lucina faisait sa Lucina ! Comme à cet instant ! Aussi, consterné et envoyant un message silencieux en laissant son don parsemer son corps entier d’éclairs mais aussi son fauteuil, Basilio commença à essayer de se remettre sur son cheval d’acier.