La phrase digne d’un boulet ou d’une moquerie avait tant excédé à vitesse grand V le pauvre Basilio… Qu’il n’avait pas reconnu la personne qui lui avait ouvert la porte ! Khalee Desquelquechose. Bon, son identité, honnêtement, il s’en fichait. Ce qui lui importait, par contre, c’était qu’il l’avait vu être la cavalière d’Orian Harker mais surtout, SURTOUT, danser avec lui lors du bal de la Saint Valentin. Cela devait dater de deux petits mois mais l’adolescent n’avait pas cessé de la haïr quand il la voyait, pour ça. De la jalousie à ne plus savoir quoi faire l’avait envahi à partir de cette date maudite (pour bien des choses, le « maudite ») mais il était dans le déni. Il ne pouvait pas se la voir -ç’en était compliqué de ne pas fermer les yeux entre sa vue et… son haleine fermentée- juste parce qu’elle représentait le déchet par excellence, le stéréotype d’une Fond De Placard, le paroxysme du pathétique. Et du maquillage doublé de n’importe quelle tenue ne feraient pas fait assez bon camouflage aux yeux du Tsumi. Si Cendrillon était belle même dans ses guenilles, Khalee, elle, restait un détritus même dans ses plus belles tenues. Bon, à la différence du 14 Février… Actuellement, la grise se représentait bien elle-même. Elle se respectait au moins un peu. A contrario de respecter l’adolescent…

Roulant des yeux quand son statut d’oméga fut cette fois mit sur table, Basilio essuya par la suite une insulte TOTALEMENT gratuite. Sous l’agacement qui chauffait, l’ado vint pincer l’arête de son nez pour réfléchir à des paroles à la fois constructives et directes pour calmer Khalee. Lui demander gentiment ? Non. Une menace ? Oui, certainement. Ouais, ça serait pas mal même. Mais alors qu’il en cherchait une, voilà que la situation se retourna totalement et que la repoussante demoiselle (dans ses précédents mots, bien sûr. Quoi que, pas que…) finit par l’inviter.

« Non mais c’est une blague ? » demanda-t-il sérieusement avec un regard blasé, observant tantôt le verre tendu, tantôt la tête de guenon de la grise. Et… Quelle était cette odeur ? Non, ça n’était pas l’odeur d’alcool fraichement renversé sur ses genoux parce que Khalee était une idiote c’était… l’odeur… du piège. De l’obligation. Du BOULET QUI TOUCHE SON FAUTEUIL.

« Non mais lâche-ça toi ! » Fallait que ça arrive, hein. Et il fallait être idiot pour ne pas penser qu’il allait encore se faire (mal)mener sans aucun consentement dans un lieu qu’il ne désirait pas pénétrer. Bras sur l’accoudoir, il plongea son visage dans sa main, lâchant un long, très long, extrêmement long soupir. Il ne devait pas exploser. Et ce fut seulement lorsque son fauteuil s’immobilisa et que l’autre cruche reprit la parole, que Basilio l’imita.

« Il n’y a rien de fun ni d’intéressant dans votre minable petite soirée ou en vous. Vous êtes juste des déchets faisant du tord à l’humanité et au monde des Super ! » Ca, c’était l’introduction. A voix calme. Puis, elle prit de l’ampleur. « Donc maintenant, vous allez baisser cette musique de bretons consanguins avant que je ne vous fasse saigner moi-même réellement les oreilles et si tu OSES encore me toucher le fauteuil je te promets que je te ferai bouffer le sol et tes dents avec ! C’est compris la débile ?! » Oui, bon, il était monté dans les octaves un peu rapidement mais… c’est qu’il avait son dossier à terminer et plus vite il n’entendrait plus cette horreur (musi.. ? Non, ça serait insulter le monde musical), et plus rapidement il pourrait terminer sa punition et surtout, SURTOUT, dormir !

« Y en a qui, contrairement à vous, sont doués et vous nous emmerdez à faire vos boulets ne respectant rien! Donc si vous êtes incapables de gérer vos études de supers, laissez ceux qui le méritent loin de vos conneries et de votre bruit infernal! »

… Elle venait de faire quoi, là, la Khalee… ? Non mais parce que Baz dû user de ses neurones les plus faibles pour faire des connexions se rapprochant le plus de celles de personnes comme la grise pour essayer de comprendre le geste de sa main vers son visage. Mais… Même ainsi, c’était incompréhensible. L’une était trop crétine pour l’autre… Ou l’autre était trop intelligent pour ça… Toujours était-il qu’il n’eut pas le temps de fouiller plus que ça l’encyclopédie des débiles pour comprendre car la voix geignarde de la FDP entama l’envahissement de ses tympans et de son activité cérébrale.

Ça commençait doucement. Et pitoyablement. Non, Basilio ne les connaissait pas et il se félicita mentalement de s’être épargné de cela.  Mais au final… les paroles dérapèrent. Dans un crescendo, se faisant de plus en plus aiguisés avec des mots de plus en plus précis sur la vie de Baz. Bon, le coup du « foirage », il le mit sur l’histoire de son passage chez les FDP et non sur quoi-que-ce-soit d’autre. Parce que… Qu’est-ce qu’elle pouvait connaître de sa vie à lui, la Khalee ? Rien du tout. Alors c’était tout naturellement qu’il roula des yeux quand elle sembla parler de sa réorientation de caste. Mais l’ambiance se mit à dégringoler en même temps : la musique se coupa et tous les regards se portèrent sur eux. Toute l’attention. Déjà, Baz était loin d’être à l’aise face à ce genre de situation. Surtout depuis qu’il était sur son fauteuil. La fuite était plus compliquée. Tout comme un affrontement en bon et due forme. Et puis, hormis ça, il était plus facile de clasher et avoir le dessus sur quelqu’un en lui faisant face. Pas en étant rabaissé dans tous les sens du terme, sur un fauteuil roulant. Il perdait beaucoup de choses, assis. Comme de la prestance, qui, mine de rien, nourrissait bien son courage à faire face à une situation, et son égo, à garder le contrôle de ses émotions et de ses traits durs.

D’instinct, Baz comprit qu’il allait en chier. Quand on mettait en place dans la discussion un « bon côté » d’une personne (ici, son pouvoir), c’était pour la jeter d’encore plus haut. Pour lui offrir un atterrissage encore plus violent à amortir. Et comment dire que là, clairement, Basilio Tsumi n’arriva pas à s’amortir.

Tellement hautain que ses chevilles avaient gonflé au point d’exploser. En une phrase, Baz eut la désagréable impression d’avoir en face de lui Lotre Harker. C’était sa phrase, ce genre de conneries. Et il y était habitué. Chaque phrase de son ancienne amie était tranchante mais ça allait de paire avec la haine qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre. Ou plutôt, avec la haine que Lotre ressentait à son égard. Pour Baz, c’était plus compliqué que ça. Sa boule de ressentiments, ce mélange, était, certes, amer, et offrait un comportement acide de la part de l’adolescent mais il y avait au fond, une part de tristesse et de regret qui l’empêchait de l’ignorer tout simplement. Comme une sorte de punition, de pénitence. Et ça n’était destiné qu’à Lotre ! Tout comme ce genre de phrase ETAIT DE LOTRE ! Et de personne d’autre ! Aucun autre étudiant n’avait le droit d’user de ce genre de choses ! Car personne n’avait à le détester à ce point que Lotre ! Encore moins une telle Fond De Placard à qui il n’avait jamais rien fait et qui ne connaissait RIEN de sa vie! Si on oubliait leur accrochage de ce soir mais… c’était compréhensible, il y avait de quoi s’énerver après une telle journée de merde et un tel comportement de la part de cette cassos qui avait essayé de l’infantiliser, allant jusqu’à user de son handicap pour le mener dans une ambiance qu’il détestait et qu’il ne voulait certainement pas intégrer !

Alors voilà. Au final, c’était comme ça. Lotre n’avait pas pu s’empêcher d’offrir l’une de ses fameuses phrases, d’en parler à d’autres personnes, de se plaindre d’un comportement pour lequel il se punissait déjà. Ça ne suffisait pas, il fallait un peu plus enfoncer, toujours plus, il n’avait pas atteint le noyau de la Terre après tout.

Tout le monde se foutait de sa gueule. Et dans le silence qui suivit les cris de Khalee, Baz s’en rendit compte, qu’il n’était pas si « invisible » que ça quand il ne faisait rien, ou si « craint » à l’institut Trueman, quand il tapait des gueulantes comme à l’instant. Bien qu’entouré (ou « enfacé », pour le coup), il se sentit… soudainement très seul. Entouré, mais pas par les bonnes personnes. Et encore, aurait-il fallut qu’il en existe dans sa vie pour cela. A ce stade là, c’était plus qu’être entouré. C’était de l’asphyxie par tant de regards qui semblaient appuyer le discours de leur représentante. Une élue tacite pour renvoyer à la gueule toute l’image qu’ils avaient de lui. Une déléguée qui se faisait désormais applaudir. Ou bien était-ce un moyen d’appuyer un peu plus ses magnifiques mots luisants, pour les aider à trancher un peu plus le mental de Baz ? Quoi qu’il en soit, le message était clair. Tout le monde se foutait de lui et tout le monde le haïssait et pensait la même chose sur son compte. Tout le monde riait de sa défenestration. C’était un raccourci assez violent à faire mais véridique.

Le visage impassible précédemment du Tsumi perdit toute ses barrières, laissant ses yeux s’ouvrir franchement sur la situation, l’aidant à observer plus facilement la foule en délire devant laquelle Khalee se portait victorieuse. Et une boule dans sa gorge se forma. Et dans sa poitrine. Et dans son ventre. C’était violent, psychologiquement, mine de rien. Trop violent même pour la tête de con qu’était Basilio Tsumi.

« Très bien. » dit-il simplement avant de pincer ses lèvres et d’abandonner visuellement ces crétins. Le souffle coupé, l’adolescent sentait sa machoire forcer sur elle-même, faisant ressortir son os carré du bas de son visage. Signe qu’il se retenait. De beaucoup de choses. De pleurer, déjà. De les insulter. De respirer, même, comme si une simple inspiration allait lui donner la force pour faire beaucoup de choses. Comme répliquer. Mais à quoi ça servirait ? Il était le mouton noir, clairement. Ou plutôt, le mouton blanc, par son passé de héros, dans un groupe de moutons noirs et vilains. Il était une petite chose trop fragile qui avait tenté de ne pas se faire dominer par des futurs supers du monde de la vilenie. Qui avait fait genre, une première année et tout s’était bien passée. Mais maintenant qu’il était sur un fauteuil pour sa seconde année, ébranlée, le rôle était trop compliqué à tenir. Il n’avait clairement pas de quoi jouer.

Secouant doucement la tête comme dans un oui pensif, comme s’il avait entendu, compris et validé le message de Khalee, Basilio tourna sur ses roues et sortit de la chambre après un bas « Allez bien tous vous faire foutre » Avec une emprise tremblante sur sa gorge et des paupières qui commencèrent à se gorger d'humidité.

Que comptait-il faire ? Rejoindre la sienne. Et se casser. Il n’avait pas la force de continuer à vivre dans une école ou chacun se moquait d’un accident traumatisant, ou on en riait à l’en détester. Il n’avait pas sa place ici. Il pensait avoir atterri chez des faibles et des ploucs mais au final, le seul sensible ici, c’était lui. Un sensible qui essayait de ne pas lâcher la montagne de larmes qui faisait déjà la queue, pour espérer dévaler ses joues rebondies. Après tout, il allait retrouver ses collègues de chambre et il ne voulait pas leur montrer ça comme dernières images. Car ils devaient penser comme ceux de la « fête ». Et Baz ne voulait donner ce plaisir visuel à personne.

Sa machoire toujours crispée (et encore pour longtemps, le temps en fait de rouler dans la ville jusqu’à… Jusqu’à ce qu’une meilleure idée n’arrive, qu’il en ait marre ou qu’il ait froid dans les rues de Paris), Basilio s’apprêta à appuyer sur la poignée de sa chambre après une grande inspiration mais… Sa main glissa bientôt tout comme son fauteuil en fait, à travers le couloir. Après un bref sursaut laissant échapper une coulée de larmes, l’adolescent immobilisa son fauteuil et poussa un long soupir. Il ne fallait pas être Einstein pour comprendre ce qu’il s’était passé. Aussi, avant de se retourner, il essuya méticuleusement et le plus discrètement (loupé) ses joues et ses yeux pour finalement faire face (même pas, elle était trop basse pour une fois) à l’autre stupidité sur patte qu’était Khalee.

Une première grimace amère traversa les traits du garçon face à son diminutif employé par un tel déchet qui se confondait désormais en excuses… En sortes d’excuses en fait. C’était encore plus pathétique. Tout comme l’état du cerveau de la femme bourrée. Et son monologue qui n’avait ni queue ni tête. Jusqu’à ce que…

La suivant du regard silencieusement, relevant son visage aux yeux rougis, le mutisme de l’adolescent en fauteuil persistait même si le discours de Khalee et les propres neurones de Basilio commençaient à trouver un sens à tout ça. Elle faisait quoi là ? Baz se le demandait réellement. Après avoir été la pire des connasses, Khalee voulait se rattraper ? Lui offrir son pouvoir de merde ? Digne d’un FDP ? Il n’avait pas chuté d’assez haut, il fallait qu’elle en rajoute ? Oh, non… ça devait être un plan pour qu’il se sente encore plus pitoyable, pour etre rabaissé davantage plus si cela était possible. Lui offrir un pouvoir de FDP pour qu’il soit réellement à la hauteur de sa caste actuelle… Cela ressemblait à quelque chose de presque sympa (avec un côté moqueur au fond) mais au final, c’était pire. Il aurait préféré que ça soit une blague en fait plutot qu’une réelle proposition. Au moins, dans la blague, il n’aurait pas cru déceler une sorte de pitié ou de charité. Depuis son accident, il en voyait de partout. Moins ici, surtout avec ceux envers qui il était une véritable pourriture, mais il y en avait encore. La preuve. Avec cette fichue grise et sa main tendue. Qu’il fixa, longuement. Ça chauffait trop dans sa caboche. Même si au final, il savait une chose : il ne serrerait pas sa main.

« Pas de vent pour ta poignée de main ? Pourquoi ? Ça casserait ton petit égo ? » demanda faussement l’ancien oméga. « Tu ne veux pas que je fasse ce que tu as fait y a quelques minutes ? »

C’en était risible. Jaunement risible même. Le sourire crispé de Basilio était amer et en même temps que ses joues se relevèrent sous cette drôle de réaction, par automatisme, quelques nouvelles larmes coulèrent à nouveau. Mais au lieu de les effacer cette fois, il les laissa tranquille… Contrairement à la main de Khalee. Qui fut dégagée en arrière par une force invisible, faisant tout autant reculer sa propriétaire. C’aurait pu être méchant, vraiment. Il aurait pu faire claquer sa main contre sa joue, dans son nez, ou plus virulent et lui faire s’enfoncer les doigts dans ses orbites. Son imagination lui avait offert une telle scène tant il bouillonnait. Mais dommage, il savait se contrôler.

« J’ai aucunement envie de ton pouvoir, de ta pitié, de ta sympathie ou quoi que ce soit venant de toi ! » reprit-il avec un peu plus de force dans sa voix cette fois. « Ou de n’importe qui ici en fait ! C’est quoi ton problème ? T’as réussi à me faire chialer, à me faire rebrousser chemin, à me faire fermer ma gueule et au final ça te fait de la peine ? Alors que JACKPOT, t’as atteint l’objectif ? Alors que c’est ce dont rêve TOUTE l’école ?! » L’avalanche avait enfin débuté sous l’agacement et l’incompréhension de Basilio face au comportement de Khalee. « Tu veux me rendre un service ? Continue à te comporter comme une vilaine, t’es sur la bonne voie ! Je suis loin d’en avoir les capacités et les possibilités, mais toi ! Toi, oh, t’es en plein dedans ! Donc continue à être une grosse conne, remporte la couronne de la super-vilaine MAIS oubliez tous que j’ai été dans vos fucking effectifs ! Je sais que ça va être dur d’oublier la petite merde qui vous faisait tant rire, sur fauteuil arrogant qui vous regardait de haut malgré sa hauteur, mais promis, ça fera de la place dans vos petites cervelles ! So, piss off ! » ordonna-t-il une dernière fois en commençant à avancer.

La situation était déjà assez dérangeante pour Basilio, pour ne pas dire compliquée à encaisser, mais voilà qu’avec tout le monologue précédemment craché… Khalee sembla mettre du temps à comprendre l’étendue des paroles de Basilio. A comprendre là ou il souhaitait en venir. Et c’était encore plus rageant, de voir qu’un adolescent motivé comme lui et intelligent, était bien moins résistant qu’un déchet comme la grise, assez stupide pour ne pas comprendre ce qui lui avait été clairement exposée. Une telle erreur de la nature, aussi stupide soit-elle, avait réussi à faire déborder le vase du cerveau qu’il était. L’adolescent sentit une colère encore plus profonde, allant jusqu’à le viser lui-même dans toute cette ampleur. A quoi bon être intelligent quand on était si fragile et si facile à cibler et à mettre en miette ?

Alors, épuisé par toutes ses émotions, par tous ses ressentis, par le poison qu’il avait dégueulé il y a peu, l’ex rouge ne vomit cette fois qu’un « yes, Sherlock. », sans plus d’autre discours que ça. Il s’était trop fatigué déjà.

Il en avait marre. Fini, game over.

Basilio quittait l’Institut Trueman. Enfin, pas tout de suite. Non, il y avait son précieux ordinateur dans sa chambre. Et ses papiers. Ainsi qu’un peu d’argent ou du moins, sa carte bleue. Il n’allait pas aller loin avec sa carte electron mais… Bref. Tout ceci, quelques secondes après avoir abandonné Khalee devant la porte de sa chambre, il l’enfourna dans son sac à dos. Le reste de ses affaires ? On pouvait bien les brûler. En faire un feu de joie, tiens, ça pouvait être une bonne idée, pour fêter son départ.

Rapide dans la préparation de ses affaires, et sous les regards interloqués de ses camarades de chambre, Baz ressortit bien rapidement de cette maudite piaule. S’il y avait encore Khalee ? Il n’en savait rien. Comme pour pouvoir s’échapper plus rapidement de cette foutue prison, de cette putain de mascarade, l’américain s’était mis en mode fuite totale. Il regardait devant lui, roulait, et ça suffirait pour la soirée, ignorant tout sur son passage.