Coeur de Bombe - ou les confessions nocturnes de l'ISF [PV Léandre]

La destruction de l’EIFEB avait été un plaisir sans nom pour Orian. Détruire sous leur nez ce refuge de bonnes âmes naïves dédiées à « sauver le monde » (il grimaçait rien qu’à cette pensée) avait été l’une des choses les plus amusantes de sa vie. Et le diable sait qu’il en avait fait beaucoup, des choses qu’il trouvait amusantes. Le trafic de drogue, le chantage, la constitution de son propre petit réseau mafieux, semer le mal partout où il passait… Voilà ce qu’Orian appréciait. Mais ce jour où il avait, avec Mila –tous les autres qui avaient été téléportés ne comptaient pas vraiment, même s’ils avaient fait du travail efficace comme Léandre – détruit l’œuvre de la vie de Lila Harker était à marquer d’une pierre blanche. Cela dit, les conséquences de cette soirée de chaos étaient complexes, et certaines n’arrangeaient pas trop les plans d’Orian. Cela pouvait rendre un peu plus difficile la mise en place du PROJET, le lancement de la véritable ISF. Il devait donc agir, et vite, pour remettre son plan sur les rails et arriver à son ambition secrète.

De plus, la présence de Flower Power à l’Institut aiguillonnait son orgueil. Orian ne supportait pas cette superhéroïne qui osait le rabaisser. Elle était toujours à le regarder de haut, à faire comme s’il n’avait pas d’ambition, à la considérer publiquement comme un vulgaire homme de ménage… Et si cela ne suffisait pas, elle était capable de placer Lotre au-dessus de lui. Sa propre fille. La fille qu’elle avait appelé Lotre. L’autre. Vous voyez ? C’est dire le peu de considération qu’elle lui accordait. Bien sûr, Orian n’était pas dupe de cette stratégie. C’est parce que son talent pour le mal brillait partout où il allait que Lila Harker se sentait obligée de le l’ignorer. Il était aussi son ennemi, l’héritier de la meilleure branche des Harker, celle des super-vilains. Or, le meilleur moyen de blesser son ennemi est de ne pas le reconnaître comme tel. Tout cela n’était qu’une posture ridicule, personne ne pouvait vraiment croire qu’Orian Harker était un petit sbire sans talent. Pourtant, elle, Lila, ne cessait de le répéter, et cela agaçait prodigieusement le jeune homme, même s’il savait qu’il n’y avait pas un fond de vérité dans tout ce qu’elle disait. Un jour, lorsque le PROJET aura réussi, chaque personne en ce monde serait forcée de reconnaître son génie et son importance, et personne ne pourrait plus essayer de le rabaisser de la sorte. Mais la présence de Flower Power dans les murs de l’Institut Trueman lui donnait l’envie que ce jour arrive le plus rapidement possible.

Orian voulait donc accélérer la mise en place du PROJET. Et pour cela, il avait convoqué son meilleur camarade sous-fifre, Léandre Raja, alias Pyrostructor. Cela faisait longtemps que les deux hommes se connaissaient. Ils étaient rentrés en même temps à l’Institut Trueman, Léandre comme élève, Orian dans les services d’entretien. Le Parrain n’irait pas jusqu’à qualifier Léandre d’ami, ce n’était pas vraiment le ciment de leur relation. (Orian avait une vision un peu trop utilitaire des autres pour vouloir se faire des « amis »). Par contre, le Parrain lui trouvait des qualités rares. D’abord il été l’une des rares personnes à avoir du talent à l’Institut Trueman. Lorsqu’il était élève, Orian s’était très vite intéressé au major de promo. Il avait un pouvoir puissant, utile, maîtrisé… Même parmi les Omégas, personne n’arrivait à sa hauteur. Mais ce n’était pas tout. Il voulait vraiment, et authentiquement faire le mal. Comme Orian, c’était un supervilain jusqu’au bout des ongles (en dehors d’une faiblesse malencontreuse pour les chatons…). Et il n’était pas idiot non plus. Ils avaient donc une entente intellectuelle rare lorsqu’il s’agissait de faire le mal. En plus de cela, Léandre avait la chance d’avoir exactement le même âge que lui, ce qui en faisait un parfait camarade. On aurait pu penser que la malencontreuse et inattendue relégation de Léandre au rang de sous-fifre aurait pu changer les choses, qu’Orian se serait désintéressé de celui que certains appelait désormais « raté ». Mais non. Cela ne faisait que le réjouir. Tout ceci était très bien agencé. C’était le destin qui l’avait décidé. Orian et Léandre seraient les deux prophètes d’une nouvelle ère, et un jour, ils conquerraient le monde.

Orian attendait donc Léandre dans son beau bureau – là où ils pourraient discuter calmement, et à l’abri des oreilles indiscrètes. Pour faire venir le jeune homme, il s’était contenté d’un mystérieux SMS : « HGRV6 ». Il avait doublé le code habituel de ses conversations avec Léandre par un code César clé 4, pour les lettres précédant le V. (Le V et le chiffre, c’était une autre affaire...). Pour communiquer le choix de la clé, les deux hommes avaient une stratégie. Le matin du jour où Orian voulait envoyer un message secret à Léandre, un employé du service d’entretien disposait des stylos sur le bureau. Il les sortait du pot à crayon de Léandre, et les alignait parfaitement. Le nombre de stylo sorti représentait le code. Et les jours où Orian n’avait pas besoin de transmettre de missives à Pyrostructor, alors tous les stylos étaient parfaitement rangés dans le pot. Ainsi, si l’on décodait le message, on obtenait : DCNV6. Quant au code principal, les deux hommes l’avaient choisi il y a longtemps, en fonction de leurs goûts musicaux respectifs… Tout ce dispositif était-il réellement nécessaire ? Après tout, Orian était le neveu chéri de Mila, et Léandre le secrétaire de confiance. En plus de cela, ils faisaient partie des plus craints de l’Institut Trueman ? Qui pourrait donc vouloir espionner leurs conversations ? Tout cela avait-il un but, ou bien n’était-ce qu’une lubie d’Orian ? Encore un petit jeu pour se donner l’impression d’être vraiment un Parrain avec des plans à dissimuler ? Quelle qu’en soit la raison, certaines conversations entre les deux étaient donc très protégées…

L’esprit d’Orian était en ébullition lorsque Léandre arriva.

-Assieds-toi, Pyrostructor, dit-il en esquissant un geste vers un fauteuil confortable, le fauteuil des invités auxquels il accordait un peu de considération.

Orian avait un air inhabituellement grave. L’effet conjoint de l’énervement et de l’impatience de mener à bien le PROJET avaient eu raison de son apparente légèreté. Son sourire de diablotin avait laissé place à l’expression du Parrain en pleine préparation d’une Vendetta. Mais avant de parler des choses sérieuses, il avait quelque chose d’autre à dire à son camarade. Non seulement parce qu’un bon Parrain était attentif à ses hommes et devait les soutenir, mais surtout parce que, pour une fois, il avait un authentique sentiment de compassion pour le Raja.

-Je suis désolé pour toi, mon vieux. Aucun super-vilain ne mérite d’avoir un super-héros – ne serait-ce qu’un apprenti dans sa famille. Au moins, tu as de la chance. Ce misérable Hyo Yoon n’est ton parent que par alliance. Contrairement à moi et Lila Harker, elle c’est encore pire, il déshonore notre nom depuis sa naissance… Mais bien sûr, ce lien entre toi et lui, aussi ténu soit-il, est déjà de trop. Surtout lorsque ta sœur réunit vos deux noms… Tu as donc tout mon soutien. Et toutes mes ressources sont à ta disposition, si tu souhaites faire regretter à ce petit minable de slip-collant d’être né.

Il adressa un petit sourire entendu à Léandre. Des moyens pour pourrir la vie des autres, Orian n’en manquait pas…

-Nous devons laver nos noms, toi et moi. « Si tu savais comme j’ai la haine ».

Et après cette sentence, Orian se leva et se rapprocha de Léandre. Son expression se fit plus sérieuse encore, signe qu’il était temps de passer au principal sujet de leur rendez-vous. Et pour cela, il allait utiliser leur code. Un code qui fonctionnait grâce à une « traduction préétablie », leur mémoire, leurs goûts musicaux communs et une certaine facilité à deviner ce que pensait l’autre.

-« Nan, nan, c’est pas l’école qui nous a dicté nos codes ». « Y’a comme un goût de Bad boy, y’a comme un goût d’Al Capone », commença Orian en imitant le flow de La Boulette.

Il s’agissait d’abord d’annoncer la couleur, les détails viendraient ensuite.

-« Prends ton sac, l’adresse de leur rencard, viens, on va les voir, viens ».

Ces quelques phrases échangées révélaient l'essence de l'ISF, et montraient parfaitement pourquoi Orian et Léandre étaient faits pour s'entendre et dominer le monde ensemble. Ils étaient tout simplement l'avenir. C'est ce que Orian avait pensé, alors qu'il écoutait la réponse de Léandre à ses salutations, et à ses condoléances quant à l'existence d'un apprenti-héros dans sa famille. Le Parrain avait accompagné la tirade de Léandre d'un hochement de tête compréhensif. Voilà ce qui les distinguait du commun des mortels. Orian et Léandre étaient de la même sorte. Ils se souciaient de l'honneur, de la réputation de leur nom, c'était une base essentielle à une future conquête du monde. Ensuite, et surtout, ils étaient tous deux de ceux qui faisaient des plans. Ils se projetaient et réfléchissaient (une activité devenue rare dans ce monde…), puis ils arrivaient naturellement à voir quelle était la meilleure chose à faire. Que ce soit pour le PROJET ou pour de plus petits projets - comme celui de rétablir l'honneur des Raja comme famille de super-vilains- ils étaient toujours capables d'identifier les meilleures solutions. C'était un talent rare, et Orian était heureux de le trouver chez Léandre. D'ailleurs, il avait brièvement fermé les yeux en signe d'approbation. Ce plan de mariage arrangé lui paraissait intéressant. Oh, et encore un point commun qui transparaissait dans ces phrases échangés, c'était leur capacité inné à savoir manipuler les autres et à les mener là où ils le souhaitaient. Ça, c'était ce que Orian nommait "le pouvoir" (et pas les petits gadgets génétiques que certains recevaient et d'autres non, et qui servaient à mettre de la poudre aux yeux de spectateurs ahuris et passifs, l'essence du mal et du talent résidait ailleurs). Orian ne doutait pas que son camarade saurait trouver les meilleures méthodes pour manœuvrer sa jeune sœur et Gaston d'Aulnay pour arriver à ses fins. Orian et Léandre étaient une révolution. Ils étaient jeunes, beaux, ambitieux, stratèges, et ils allaient tout changer.

(Orian n'avait pas poursuivi cette conversation sur l'avenir de la famille Raja. Un Parrain avait le devoir de toujours garder un équilibre. Il était d'une part important de se soucier de ses collaborateurs et de le leur faire savoir. Mais d'autre part, il ne devait pas se montrer paternaliste, ni manquer de respect à Pyrostructor. Chacun est maître en son domaine, et il ne lui appartenait pas d'émettre des jugements sur les plans de Léandre concernant sa famille, s'il n'y était pas expressément invité. En affaires comme en amitié - et il était clair qu'avec Orian, les deux étaient toujours entremêlés- il fallait garder la bonne distance. Avec les associés qu'il estimait, Orian agissait toujours comme il aurait aimé qu'on le traite, lui, s'il s'était trouvé dans la même situation. L'esprit du Harker s'était donc tourné sur un autre sujet de conversation, le PROJET. C'était de toute manière ce pourquoi ils étaient là, dans son bureau. Autrement, rien ne leur aurait empêché de discuter de leurs affaires personnelles en sirotant des Mojitos dans un Karaoké spécial Jena Lee. Il ne fallait pas perdre d'avantage de temps - car cela aussi, était un manque de respect).

Les premières paroles de Léandre firent réapparaître sur le doux visage d'Orian son sourire de diablotin. L'héritier présumé de Belzébuth ( ) ne pouvait que se réjouir d'entendre ces quelques phrases de Sheryfa Luna. Le Parrain avait eu une bonne intuition en se disant qu'à l'Institut Trueman, il pourrait se constituer un entourage de qualité. La fidélité et l'enthousiasme communiqués par Léandre le confirmaient. Les strophes scandées des Confessions nocturnes lui plurent encore davantage. Pendant cet enchaînement, le regard intense d'Orian ne quitta pas celui de Léandre. Le Parrain ne parlait pas, mais il sentait presque ses lèvres remuer à chaque syllabe prononcée. Ses pieds semblèrent un instant vouloir reconstituer le rythme des paroles. Comme dans une sorte de transe, ces paroles de Diams l'emplissaient d'excitation et de gravité. Il le savait, un grand moment dans sa vie arrivait. Orian Harker était animé par des sentiments contradictoires. Fébrile et impassible. (Un Parrain devait toujours rester de marbre, mettre de côté ses émotions et considérer les choses calmement, rationnellement). Impatient et inquiet. (Le garçon sentait bien là ce qu’il restait de faiblesse en lui. Il était sûr de ses capacités, de la qualité de ses idées, de ses plans… mais il restait proie à ce petit aiguillon de la peur. Il n’échappait pas à cette petite et perfide question : « Et si je n’étais pas à la hauteur ? Et si tout mon plan s’effondrait ? Et si au fond je n’étais rien ? ». En ce moment crucial, les doutes sur ses capacités, dont il pensait s’être débarrassé depuis longtemps revenaient. Les attentes envers lui étaient grandes. Celles de sa famille, dont il était l’espoir – on ne pouvait pas compter sur l’autre représentante de sa génération, Lotre, pour prendre seule la relève. Depuis sa naissance, sa cousine était de ceux qui ne comptent pas, invisible, insignifiante. On l’oubliait. Ce n’était pas un reproche, la pauvre n’y était pour rien. On ne peut pas changer sa nature, certaines choses étaient ainsi. Quant à lui, c’était l’inverse. Il avait tout de suite attiré l’attention, éclipsant jusqu’à l’existence de ses adelphes. Et c’est pour cela qu’il avait été éduqué pour être un leader, pour être le meilleur. Echouer, ce serait trahir des générations de Harker, dont il était l’aboutissement. Et ce serait aussi trahir ses attentes propres. Qui serait-il s’il échouait ? Un raté, un moins que rien. Un simple chef de service d’entretien, en qui on avait longtemps cru, mais qui en réalité, ne serait jamais capable de faire de grandes choses. Il serait un potentiel gâché, un potentiel disparu, au point que l’on se demanderait s’il avait bien existé un jour, ou si les croyants avaient été soudainement tous atteints par une redoutable illusion collective –illusion qui, par définition, devait un jour prendre fin. Les remous intérieurs d’Orian ne lui donnaient qu’une envie : agir au plus vite. Une fois que son plan serait enclenché, il ne se poserait plus toutes ces questions, il l’espérait. Il n’aurait plus qu’à déployer son plan, comme un bon seigneur de guerre, et, ultimement, savourer sa victoire. Et il serait à tout jamais exempté des incertitudes sur ses capacités. Il allait prouver au monde sa valeur et récolter la gloire. Lui, avec Léandre, son bras-droit. Et lorsque Léandre prononça à son tour ce « si tu savais comme j’ai la haine, là », alors ce fût peut-être le moment de la vie d’Orian où il fut le plus proche d’être reconnaissant envers quelqu’un. Voilà pourquoi Léandre et lui, ils étaient alliés pour la vie.

-« Les autres, c’étaient tous des cons de toute façon, toi, c’est pas pareil, t’es une perle, tu sais, t’es rare», répondit Orian avec un sourire à Léandre. Une phrase dont le sens, qui même sans connaître leur code préétabli pouvait être deviné. Il fallait montrer à ses alliés qu’ils nous sont précieux.

Et il enchaîna sans perdre de temps. Il ne fallait pas non plus qu’il donne l’impression d’être sentimental. Pour dérouler la suite de son plan, comme Léandre l’invitait à le faire, Orian devait accompagner ses paroles de Jena Lee d’une indication, elle aussi préétablie. L’ambitieux garçon passa une main dans ses cheveux, et il replaça d’une manière bien particulière ses boucles brunes.

-« Petit cœur est tombé sur une bombe. Petit cœur est tombé et ça fait mal, ça fait mal. Je suis tombé sur une bombe. Sur une bombe à retardement ». « Quelques mois plus tard, je déménage, -ils emménagent, les nuages cachent l’orage ».


Sourire machiavélique sur ses lèvres et regard sérieux. Les yeux d’Orian qui s’étaient perdus dans l’horizon revirent se poser sur Léandre. Il était temps de proposer un certain vers de Jena Lee, Emo/RnB.

-« Regarde moi, dis moi que ça te plait ». J’ai même une idée de ce par quoi on pourrait commencer, à moins que tu en aies également?