Heureux comme des poissons dans l'eau [Altea & Cléo]

Dimanche, enfin. Aujourd’hui, Altea pouvait se dire qu’officiellement, elle avait survécu à sa première semaine complète à l’Institut Trueman. Malgré toutes ses angoisses, ses débuts dans le monde des super-vilains n’avaient pas été aussi catastrophiques que ce que les scénarios les plus sombres qu’elle avait conçu mentalement avant son départ auraient pu présager. Déjà, elle avait terminé la semaine vivante, sans que quiconque ne découvre qu’en réalité, elle ne voulait pas être une super-vilaine. Même le cours se passaient relativement bien et lui paraissaient plutôt intéressants. L’ambiance était très particulière, mais pour l’instant, elle n’avait pas eu à se plaindre des autres élèves. Il faut dire qu’en même temps, elle n’avait pas vraiment essayé de leur parler, ou de les connaître, le pire était peut-être à venir –sûrement. Quant à sa tentative de rapprochement avec ses cousins, et en particulier avec Basilio, on ne pouvait pas dire que ce soit une réussite, ou qu’il y avait eu une quelconque amélioration. Elle ne s’attendait cependant pas à autre chose, et cela n’avait pas affecté sa détermination. Jusqu’à présent, elle « tenait », elle s’était contentée de survivre à cette semaine. Et arrivée au dimanche, épuisée entre le décalage horaire dont elle peinait à se remettre, les nuits sans sommeil passés dans cette chambre qui n’était pas la sienne –elle n’avait heureusement pas encore de colocataire et pouvait au moins s’y habituer tranquillement – et les émotions apportées par tous ces changements, elle eut de grande difficulté à se réveiller quand son réveil sonna, tôt, bien trop tôt pour l’adolescente fatiguée.

Quelques jours auparavant, elle avait profité d’une soirée de répit pour s’informer sur les piscines parisiennes. A Jacksonville, elle adorait aller nager et avait suivi des cours de natation à un niveau avancé. Au bout de quelque jour sans avoir pu approcher d’une étendue d’eau, cela commençait déjà à lui manquer. Certes, une piscine ne remplacerait jamais les sensations de la nage en pleine mer, ni les autres sports aquatiques qu’elle affectionnait, mais c’était déjà mieux que rien. Elle en avait donc repéré une, pas si éloignée de l’Institut, et avait repéré un certain nombre de cours. Il y en avait de tous genre, de la natation pour débutants à l’aquagym. Elle avait repéré une leçon s’adressant aux nageurs avancés, et elle avait décidé de tout de suite profiter de l’offre pour essayer un cours avant de s’inscrire ou non définitivement. Ne pas laisser traîner les choses et agir, elle se disait que c’était encore le meilleur moyen pour ne pas sombrer dans la déprime. Et puis physiquement aussi, cela lui ferait du bien de se détendre. Elle se remémora toutes ces raisons de se lever, et après une douche et un café, elle avait retrouvé un semblant de motivation. Habillée d’un jean trouée et d’un sweat à capuche, elle quitta avec ravissement son uniforme neuf, encore raide et ayant des résidus d’odeur de plastique, pour retrouver ses tenues habituelles, à elle.

N’ayant pas encore reçu son passage Navigo-bidule Imagine R, car elle venait seulement de recevoir un certificat de scolarité, Altea soupira au moment d’acheter des tickets de métro. Les queue était longue, et elle ne comprenait rien aux fonctionnement des distributeurs. C’était vraiment si compliqué d’inventer des noms simples pour des pauvres billets ? Ce n’était pas tant son Français qui posait problème que l’incongruité des dénominations. Mais bon. Après quelques minutes de bataille, elle finit par choisir une option, peu importe que ce soit la meilleure ou non, elle voulait juste que ce soit terminé. Elle mit un casque pendant tout le reste du trajet, un moyen de se détendre et de se réveiller, et aussi de ne pas s’irriter face aux désagréments des transports publics. Au bout d’un moment, après un trajet qui lui sembla beaucoup plus long qu’il ne l’était en réalité –normal quand on s’inquiète après chaque station d’avoir pris ou non le bon chemin, ou à chaque changement de bien respecter les règles de vie des parisiens ou non, elle eut atteint la dernière station et elle n’eut besoin que de quelques minutes pour trouver la piscine. Elle paya normalement son entrée, et entra dans les vestiaires. Des vestiaires de piscines, tenus de manière correcte mais forcément peu agréables. Le sol, surtout, était humide. Des cris d’enfants résonnaient à travers les murs, et elle s’amusa que même cela, même cette façon de crier, soit différente de celle de son pays d’origine.

Entrant finalement dans les bassins, son humeur était partagée entre une sensation de détente et le plaisir que lui apportaient toujours les sports d’eau avec la nostalgie de sa vie d’avant, si l’on peut dire. Nostalgie des jours où elle n’allait jamais seule à la piscine, toujours accompagnée de membres de sa famille – ses cousins, sa mère… Jamais son père cela dit, qui détestait la piscine et acceptait juste de mauvaise grâce se faire traîner à la mer. Forcément, l’odeur chlorée ne remplaçait pas l’air iodé. Les bassins à remous n’offraient qu’une pâle imitation des vagues. Mais qu’importe. Après tout, il fallait bien se satisfaire de ce que l’on a. Et apprécier le moment.

Pour chasser ses pensées, Altea se mit en quête de son cours de natation avancée et alla se renseigner auprès d’un maître-nageur, qui dès qu’elle prononça le mot cours, la renvoya vers le « bassin intermédiaire ». En rentrant dans le bassin, son premier constat fut que ce cours, pas encore commencé, mais dont les participants commençaient à se rassembler, ne semblait n’être destiné qu’aux personnes âgées. Un peu bizarre pour un cours de natation sportive. Elle commençait à croire qu’elle s’était complètement trompée – en même temps, si le nom des cours était aussi clair que les tickets de métro et que natation sportive était synonyme d’aquagym, il ne fallait pas s’étonner. Soupirant, elle parcourut quelques mètres à un rythme rapide. Le mouvement lui fit aussitôt du bien et l’aida à se changer les idées. C’est en se retournant pour poursuivre sa route dans l’autre sens que son regard croisa celui d’un jeune homme, qui devait avoir à peu près son âge. Son visage lui était légèrement familier. Il ne lui en fallait pas plus pour l’identifier comme un élève de l’Institut Trueman, après tout, ce n’était pas comme si elle risquait de connaître qui que ce soit d’autre à Paris. A mieux y repenser, elle croyait même l’avoir croisé une fois dans le couloir des Omégas en compagnie d’un autre garçon. Elle hésita d’abord à aller le voir, puis le sourire du garçon lui enleva ses doutes, et elle nagea vers lui. Entre temps, il avait détourné son attention d’elle, et les doutes revirent. Est-ce qu’elle ne risquait pas de le déranger ? Bon, le risque qu’elle prenait était clairement minime.

-Salut, commença doucement Altea, avec un sourire, pour ne pas faire sursauter le probable élève super-vilain. J’espère que je ne te dérange pas. Est-ce que tu pourrais me renseigner ? Je m’étais inscrite pour un cours de natation sportive avancée mais… J’ai l’impression que c’est pas vraiment ça le cours qui va avoir lieu aujourd’hui… Tu sais ce que c’est ? Et Tu ne serais pas un étudiant de l’Institut Trueman ? J’y suis –je viens d’arriver en fait- et j’ai l’impression de t’avoir déjà vu. Et non, ce n’est pas une tentative de drague, je t’assure, rigola-t-elle, parce qu'il est vrai que cette question ressemblait assez fortement aux clichés de la drague. Au fait, je m’appelle Altea, se présenta la jeune fille.

Pas un lieu très glamour pour draguer? Altea rigola de nouveau à cette remarque, qui la ramena aux plages de Floride où elle avait passé son enfance et son adolescence. Là-bas, flirter était l'une des activités les plus populaires. A force de fréquenter ces lieux et de voir dans les films et séries des histoires, toujours similaires, de rencontre et de drague à la plage, Altea n'y voyait plus que le cliché antiromantique, une image presque vulgaire. Cela dit, en comparant ces paysages avec la piscine municipale dans laquelle elle se trouvait, le cliché "drague en Floride" reprenait, en effet, un peu de glamour. Outre que cela ne lui aurait pas naturellement venu à l'esprit d'aborder le jeune adulte pour le draguer, l'environnement artificiel n'aidait pas non plus. Une piscine bruyante, un carrelage humide et désagréable comparé au sable, un mauvais éclairage, un groupe de personne irritées autour d'eux... Il ne manquait pas grand-chose pour que la jeune américaine trouve le lieu sordide. Sitôt que cette pensée lui vint à l'esprit, elle essaya de se reprendre, de combattre sa tendance à la négativité. Voyons le bon côté des choses. Elle ne s'était pas faite envoyée balader par le garçon, et en plus de cela, il semblait sympathique et chaleureux. Voilà une bonne nouvelle à laquelle elle pouvait se rapprocher. C'était peut-être le contact le plus positif qu'elle avait eu avec quelqu'un depuis son arrivée en France. Rien que pour cela, être venue jusqu'à cette piscine valait le coût, décida-t-elle.

Et en plus, le nageur lui confirma qu'il était lui aussi étudiant à l'Institut, ce qui fit réagir Altea par un grand sourire. En plus de l'idée de se faire un nouveau camarade, elle devait bien avouer être soulagée de ne pas s'être trompée, et donc de ne pas passer pour une imbécile. Son expression se mua cependant en surprise lorsque le garçon mentionna son nom. Elle n’aurait pas pensé qu’il sache comment elle s’appelait, mais après tout, s’il était aussi un Oméga, il avait déjà vu deux Tsumis s’installer dans les dortoirs… Et il faut dire que Basilio, avec son fauteuil roulant, et Lucina, avec son caractère affirmé, n’étaient probablement pas les élèves qui passaient le plus facilement inaperçu. Altea ne savait que pensait du fait que le jeune homme connaissait déjà son nom. Son nom qui était pour elle une fierté, comme il était parfois un fardeau. En entrant à l’Institut, elle avait joué avec l’idée, à un moment donné, de prendre un autre nom, pour être juste « Altea », prendre contact avec les autres sans qu’il ne la considère directement comme « encore une Tsumi », qu’elle ne soit vue qu’au prisme de la famille. Mais elle avait rapidement abandonnée cette idée. Elle aurait eu l’impression de trahir sa famille, et de se trahir, en faisant cela. « Les Tsumis contre le reste du monde… », cette devise des triplés Tsumis, Antonella, Adriel, et Abby, lui paraissait encore valable. Et en plus, elle savait ce que c’était de vivre avec des noms qui n’étaient pas les siens, des noms qui n’avaient aucun sens. L’anonymat, c’était à la fois le rêve et le cauchemar, la liberté et la solitude la plus complète. Elle avait fait le choix de la famille, quoi qu’il en coûte.

-Oui, c’est bien ça ! confirma Altea, son étonnement transparaissant dans son ton.

Avant qu’elle n’ait pu enchaîner en demandant au jeune garçon son prénom, il continua, répondant à ses questions précédentes. Ah… Elle s’était donc complètement trompée sur la « natation sportive », et elle en était honnêtement un peu déçue. Elle avait légèrement l’impression de s’être fait arnaquée. Elle jeta un coup d’œil aux bassins aux alentours lorsque Cléo l’encouragea à tester. Quel autre choix avait-elle, après tout ? Se morfondre toute seule en faisant des longueurs, ne parler à personne et rentrer à l’Institut à peine détendue ? Cléo avait l’air de faire partie du cours d’aquagym, alors même au cas où si elle n’aimait pas ce sport, elle avait des chances de passer un meilleur moment que toute seule. Le risque n’était de toute manière pas très important.

-Enchantée Cléo ! L’aquagym ? Oh d’accord… C’est juste moi qui exagère ou ce choix de nom ressemble à une « stratégie commerciale malhonnête » ? sourit Altea. Je n’en ai jamais fait. Avant de m’installer à Paris, j’habitais au bord de la mer, j’aime plutôt la natation pure, ou d’autres sports d’eaux comme le surf, la plongée. Ça fait un peu cliché je sais… Mais je vais tenter cet aquagym, tu as raison. Tu en fais depuis longtemps ? Tu peux m’expliquer un peu ce que c’est ? Et au fait tu aimes faire quoi, toi, comme sports d’eau à part l’aquagym ?

Oui, Altea était curieuse, et elle était aussi assez ravie de trouver quelqu’un avec qui parler. Les questions qu’elle avait à poser à Cléo ne manquaient pas, maintenant que la glace était brisée. Elle s’arrêta cependant. Il ne s’agissait pas de faire peur au pauvre apprenti super-vilain. En face d’eux, une dame arriva et le groupe inscrit pour l’aquagym sembla se réunir vers un côté du bassin, certains d’entre eux râlant, disant quelque chose comme « c’est pas trop tôt ». Le cours allait sûrement commencer.

Bon... La confirmation donnée par Cléo au sujet de la publicité mensongère eut le double-effet de la faire sourire et de la déprimer un peu. Elle n'était pas spécialement en colère contre le centre de natation, et elle ne comptait pas ressasser toute la journée ce défaut d'information, mais elle était quand même un peu déçue de ne pas trouver exactement ce qu'elle était venue chercher. Cela dit, elle avait déjà trouvé Cléo, et c'était beaucoup. C'était même bien mieux, car le jeune homme avait vraiment l'air très gentil. Altea remarqua bien la pointe de tristesse dans sa voix lorsqu'il évoqua l'absence de son meilleur ami. Compatissant avec lui, elle comprenait un petit peu pourquoi il avait eu l'air un peu morose quand elle l'avait vu de loin dans la piscine. Altea se demanda si celui-ci était aussi à l'institut, et se promit mentalement de poser la question à sa nouvelle connaissance. Mais pas tout de suite, déjà pour ne pas couper Cléo dans sa réponse, mais aussi pour ne pas insister sur cette douloureuse absence. Il avait probablement plutôt besoin qu'on lui change les idées.

Si Altea avait déjà décidé de participer quand même au cours, les mots de Cléo ne la firent pas regretter sa décision. Il n'essayait peut-être pas forcément de lui vendre l'activité, après tout il ne faisait que la décrire, mais les mots qu'il utilisait lui parlaient. Faire du sport totalement immergé dans l'eau. Un léger sourire apparut spontanément sur le visage d'Altea à cette idée. La jeune fille était plutôt sportive, ou en tous cas, elle adorait bouger, et découvrir de nouvelles activités. Que ce soit pour essayer des arts martiaux, de la danse, l'escrime, le tir à l'arc ou des activités moins conventionnelles comme le skate et le parkour, elle était toujours partante. Les sports collectifs, en revanche, l'avaient toujours beaucoup moins attiré. Elle appréciait d'être entourée, mais elle n'aimait pas beaucoup dépendre des autres, ou être obligés d'être tout le temps avec eux. Les sports qui se faisaient seuls, ou à deux, la détendaient beaucoup plus.

Qu'elle aime les sports cela valait mieux d'ailleurs, pour quelqu'un qui longtemps avait voulu devenir super-héroïne - et désormais officiellement super-vilaine - d'être en bonne forme physique. D'ailleurs, rester assis des journées entières pour les cours lui avait toujours été pénible. Mais la natation avait toujours son activité favorite, et souvent, la sensation d'être dans l'eau et de se déplacer avec fluidité lui manquait lorsqu'elle effectuait d'autres sports. Donc lorsque Cléo évoquait la sensation de faire du sport dans l'eau, elle comprenait évidemment pourquoi cela lui plaisait. Elle tentait aussi de s'auto-persuader que l'aquagym était un sport au sens où elle l'entendait. Soit pas seulement un sport "pour faire joli", pour l'entretien, mais qui demandait un réel effort physique, intense. Bon, elle avait plus de doutes à ce sujet, vu la fréquentation du cours mais elle essayait quand même de s'en convaincre.

-De l’aquagym c’est déjà pas mal comme sport tu sais, tout le monde ne fait pas ça. Et je suppose que tu dois faire quand même un peu d’exercices physique à l’Institut ? Je n’ai pas eu beaucoup l’occasion de nous en rendre compte mais je crois qu’ils nous entraînent au combat, non ? Quand on voit ce que font les supers-vilains et héros, c’est assez physique… Donc bon, tu m’as pas l’air si peu sportif que ça. Tu en fais sûrement plus que la majorité des gens je veux dire.

Atea dit tout cela en souriant, cherchant à un peu à remonter le moral de Cléo, et surtout, elle était sûre que le jeune garçon était en train de se dévaloriser. En tous cas, elle prit bonne note de son souhait d’essayer les autres sports qu’elle avait cité. Elle se dit que s’ils s’entendaient bien, elle pourrait peut-être l’inviter à Jacksonville un été. Ou mieux encore. Prévoir un week-end au bord de la mer pendant l’année ! Après tout, on était en France, en Europe. Contrairement aux Etats-Unis, les distances étaient courtes. Surtout depuis Paris, où des trains partaient vers tous les coins de la France chaque heure. Que ce soit du côté de l’Atlantique, de la Manche ou de la Méditerranée, il y avait de quoi faire en termes d’activités nautiques… Elle rêva un peu à l’idée de partir et un matin et si vite se retrouver au bord de l’eau. Vraiment c’était une chose à faire. Bon, pour l’instant elle ne connaissait pas assez Cléo pour lui proposer quoi que ce soit, mais s’ils s’entendaient vraiment bien… Peut-être.

Lorsqu’ils se mirent en place pour le cours, Cléo avertit Altea sur la charmante population de dames qui le suivaient. Elle grimaça à cette information. Cela nuisait quand même un peu au côté « détente » de la chose, d’être au milieu de personnes apparemment si insupportables. Mais il avait raison, après tout, de ne pas se priver de son plaisir à cause d’elles… Enfin, tout dépendait du degré de méchanceté de ces femmes.

-Je vais faire de mon mieux pour les ignorer alors, assura Altea.

Elle répondit un « d’accord » murmuré au conseil de Cléo et essaya de se concentrer sur ce que disait leur prof. Elle enchaînant silencieusement des gestes pendant quelques minutes, trouvant le sport pour l’instant pas désagréable, assez détendant, bien que peu intense. Mais c’était peut-être seulement parce que la séance venait de débuter. Prenant un peu le rythme, elle se dit qu’elle pouvait bien reprendre sa conversation avec son camarade étudiant, s’il avait l’air disposé à cela.

-Je trouve ça pas mal pour l’instant, dit-elle en parlant de l’aquagym. Et sinon Cléo, ça fait combien de temps que tu es à l’Institut, demande-elle, son accent américain perçant un peu, en choisissant un sujet qui n’était pas trop personnel pour ne pas le gêner, et qui pouvait soit appeler à une réponse courte, soit à un peu plus de développement selon son envie de parler.

Cependant, à peine eut-elle prononcé ces mots qu’une femme âgée, deux rangs devant eux, se retourna pour le faire un « CHUT » monumental. Elle se retourna ensuite pour parler avec sa copine, et Cléo et elle entendirent très distinctement ces mots :

-Ces jeunes aujourd’hui, ils n’ont plus aucun respect ! Non mais c’est vrai quoi, pas capable de fermer leur bouche et de laisser les autres tranquilles. Un chinois et une ricaine en plus… Impérialistes en permanence !

Et ils entendirent aussi l’amie approuver. Comment dire ? La bonne résolution d’Altea de ne pas les écouter ne tint pas. Elle se sentait passablement énervée, pas tant par rapport à elle que part le mépris et le racisme pour Cléo, qui pourtant partageait régulièrement leur séances d’entraînement. En plus, les moins discrets n’étaient certainement pas Cléo et elle…

-Pour qui elles se prennent ? fulmina Altea. Elles sont vraiment toujours comme ça ?

En tous cas, si elles continuaient comme ça, elle se promettait d’aller leur dire quelques mots à la fin du cours.

"Ces deux-là sont les pires" lui expliqua Cléo. Encore heureux, se dit Altea. Elles avaient déjà l'air très insupportable et désagréable, même pour une personne aussi patiente qu'elle, alors elle n'osait imaginer ce que cela donnerait si toutes les nageuses se comportaient ainsi. Ce pauvre Cléo et son ami semblaient servir de boucs-émissaires dans le groupe. Les vieilles dames étaient probablement si critiques et désireuses de mépriser les autres que s'ils n'étaient pas là pour dévier leur attention, elles s'adresseraient mutuellement sans arrêt. Lorsque l'on veut voir le mal en les autres, on y arrivait toujours. Personne n'était suffisamment parfait pour échapper à des yeux plus acérés encore que ceux des oiseaux de proie. Peu importe tout ce que l'on faisait bien, ou simplement normal, il y aurait forcément un jour, un détail qui pouvait nous valoir l'ostracisme de la communauté.

Si Cléo n'était pas là, elles auraient forcément choisi une autre personne un groupe pour reprendre son rôle, elles auraient choisi la plus différente d'entre elles. Chacun avait des secrets. Une pourrait par exemple avoir un enfant ayant des problèmes avec la drogue, l'autre pourrait être attirée par les femmes, ou encore ne pas respecter exactement un code social... N'importe quel prétexte serait bon. Tout ce qui faisait l'unité de ce groupe était la possibilité de critiquer. Ce n'était pas simplement l'idée de passer du bon temps en faisant un peu d'aquagym. Le ciment du groupe, c'était donc le jeune coréen, malgré lui. Et il ne pourrait jamais attendre la moindre reconnaissance pour cela. Sauf peut-être, si un jour il quittait le cours, et que quelqu'un d'autre venait prendre sa place de bouc-émissaire. Peut-être que ce jour-là, les dames préféreraient leur propre élément perturbateur plutôt que le nouvel intrus. Et elles se diraient de choses comme "au moins, celui-là, le chinois bla-bla-bla".

La mécanique de groupe, ça la rebutait toujours malgré tout. Le seul esprit de groupe qu'elle avait, et il était très fort, c'était avec sa famille. Le reste, elle s'en méfier, et le fonctionnement qu'elle avait pu décrypter de ce groupe d'aquagym, alors même qu'elle n'y était resté encore qu'une dizaine de minutes, ne faisait que lui confirmait cela. Altea se demanda ce que cela pourrait donner pour son avenir. Est-ce qu'elle avait vraiment sa place parmi les supers, qu'ils soient héros au vilains? Rares étaient ceux qui faisaient complètement cavaliers seuls, qui ne faisaient partie d'aucune organisation, d'aucune hiérarchie.

-T'as raison, approuva Altea lorsque Cléo lui indiqua la volonté de les ignorer.

C'est vrai, c'était trop facile pour elles de prendre le rôle de victimes. Elles, les gardiennes de la bonne morale, des bonne mœurs, se faire maltraiter par un voyou-drogué-assassin. Alors qu'en réalité Cléo ne leur avait rien fait de mal. Encore une chose qui la renvoyait à ce qui l'énervait dans le système de contrats entre héros et vilains. Les super-héros ne défendaient même plus leurs valeurs, ils ne faisaient que suivre un script, faire ce qu'on leur dit, et jouer les marionnettes pour amuser et manipuler les gens. Être un super-héros sous contrat, au fond, c'était juste avoir un tampon "agréé par la bonne société" apposé sur chacun de ces actes. Et ça, ça la dégoûtait.

Lorsque Cléo se pencha vers elle, la jeune Tsumi le laissa faire, comprenant qu'il voulait communiquer discrètement. Et ses mots lui permirent de comprendre pourquoi. Elle tourna un regard intrigué vers lui. Elle ne comprenait malheureusement pas exactement le sens du mot "initierait", mais elle se disait que ça devait être suffisamment proche du verbe anglais "initiate", ce qui lui permettait de saisir le sens. A vrai dire, elle ne savait pas trop quoi en penser. Elle était forcément contre l'avis des nageuses, mais est-ce que ce n'était pas un peu... Un peu trop mesquin de faire des choses comme ça? Les vengeances en douce, ce n'était pas vraiment son truc. En bonne super-héroïne, elle préférait confronter directement les autres et dire les choses clairement, même si elle n'aimait pas déclencher les conflits. Elle devait bien avouer que ça l'amuserait un peu de voir ces femmes tourner en bourrique, elles le méritaient mais... Ce n'était quand même pas bien, se disait Altea. Enfin, cela dit, cela dépendait du genre de vengeance exactement. Elle se sentait dans une position délicate, Cléo lui paraissait très sympa et elle le comprenait parfaitement mais elle n'était pas sûre de vouloir participer à ça... Enfin, il fallait qu'elle en sache plus. (Et il fallait aussi qu'elle s'intègre...).

-Tu me diras tout ça tout à l'heure, répondit Altea, un peu soucieuse et intriguée, mais n'osant pas poursuivre davantage la conversation. Il ne fallait pas que les autres les entendent, et faire une longue conversation murmurée ne serait pas non plus très discret.

Altea reprit le sourire amical et décontracté qu'elle arborait depuis le départ lorsque Cléo relança la conversation en la questionnant.

-Oui, je suis aussi chez les omégas, sourit Altea. On a dû déjà se croiser dans les couloirs du dortoir ou dans le foyer. En fait, je viens d'arriver, j'ai eu mon entretien et j'ai commencé les cours au début de la semaine. Il est un peu bizarre le recruteur non? J'ai l'impression qu'il est super blasé. Mais ce qui est plus bizarre encore c'est que quand Mila m'a signifiée que j'étais prise, elle m'a juste laissé un post-il expliquant ça, avec... Un préservatif et un billet de 10 euros. C'était trop chelou. Je crois que c'est parce qu'on est beaucoup de Tusmis à avoir débarqué en même temps, elle a dû en avoir marre de nous.

Altea rigola en disant cela. Elle n'avait pas mal pris cette histoire, elle se doutait bien que ces supers-vilains agissaient de manière étrange, et sans faire attention à ne pas blesser les autres. Elle avait juste été surprise. Sur le moment, la jeune fille se disait que ce serait une anecdote amusante pour Cléo.

-Je suis hémokynésiste, continua Altea. En fait, de la même manière qu'un aquakynésiste pourrait déplacer les eaux de ces bassins, par exemple pour vider l'eau ou créer un courant ou même un geyser à l'endroit où nos deux camarades nagent, je peux contrôler le sang. Par exemple, je peux influencer la circulation du sang, le bloquer, le déplacer plus ou moins vite, ou dans de plus ou moins grandes quantités. Des choses comme ça tu vois. Tu n'es pas phobique du sang j'espère?

En clair, elle pouvait envoyer toutes les participantes au cours à l'hôpital pour des malaises ou pour des AVC. Habituellement, Altea n'aimait pas parler de son pouvoir. Beaucoup de gens, surtout parmi les héros, trouvaient cela glauque ou effrayant. Mais là, parce que leur conversation était détendue, et parce qu'elle avait l'impression que Cléo ne serait pas du genre à la juger ou à être dégoûté par cela, elle n'avait pas hésité. Évidemment, elle pouvait se tromper. Peut-être que Cléo trouvait son pouvoir absolument ignoble.

-Et alors, toi, raconte-moi tout! Tu vis depuis longtemps à Paris ou pas du tout? Qui c'est ton ami Isaac? Et qu'est-ce qui t'a amené à étudier chez Trueman? Lui lança-t-elle avec enthousiasme. Car dans les discussions, ce qu'elle préférait, c'était surtout écouter les autres découvrir ce qu'ils avaient à dire. C'était un point commun avec son cousin, elle était très curieuse. Elle avait envie de savoir qui était Cléo, d'où il venait, quel était son pouvoir les choses qu'il aimait... Altea se restreint cependant pour ne pas l'accabler de questions, le pauvre, elles étaient déjà assez vastes, celle qu'elle avait posé.