Such a perfect day [PV Lucina + possible Guest star Basilio]

Installée sur son lit et soupirant, Altea se dit que ses retrouvailles avec Basilio, quelques dizaines de minutes plus tôt, auraient difficilement pu être pires. Elle ne s’attendait pas à grand-chose. Elle n’espérait pas que son cousin soit finalement un tant soit peu heureux de la voir, même pas qu’il soit simplement indifférent. Leur échange par SMS légèrement violent, une semaine avant son arrivée, ne lui avait pas laissé beaucoup d’espoir à ce sujet. Mais que les choses puissent dégénérer à ce point, la jeune fille ne l’avait pas anticipé. Outre le fait qu’il n’était déjà pas ravi de la voir, apprendre qu’elle serait sa nouvelle colocataire avait provoqué une sorte de fureur chez son cousin. Au point qu’il use de son pouvoir sur elle. Après leur altercation, Basilio était parti de la chambre. Altea se disait qu'il était probablement allé demander – ou peut-être même exiger, le connaissant - à l’administration un changement de colocataire. Parce qu’elle n’était même pas sûre de rester dans cette chambre et parce que, d’une certaine façon, elle n’avait pas vraiment envie de s’y installer après ce qui s’était passé, elle était certes allée récupérer ses valises et sacs dans son ancienne chambre, mais elle n’avait sorti aucune de ses affaires. En passant dans le couloir, rapidement et évitant de regarder ceux qu’elle croisait, de peur de paraître trop bouleversée, elle avait vu les nouveaux occupants de ce qui était encore quelques heures auparavant sa chambre prendre leurs quartiers. C’étaient visiblement deux personnes inconnues l’une pour l’autre, mais qui faisaient déjà connaissance en s’échanger des blagues. Et évidemment, pendant quelques instants, elle se prit à envier cette insouciance. De retour dans la chambre de Basilio, ou plutôt dans sa nouvelle chambre, elle n’avait fait que poser ses affaires, bien loin du centre de la pièce, de son côté, et s’était assise sur le bord du lit, comme si inconsciemment, elle n’osait pas prendre sa place dans cet environnement hostile.

Vide, se répétait-elle dans sa tête, vide. Altea fixait le mur nu devant elle, tâchant de faire refluer tous ses sentiments. Être aussi vide que ce mur blanc. Ne penser à rien, et surtout ne rien ressentir. Surtout, tenir à distance toutes les pensées qui la torturaient depuis des semaines. Construire une digue mentale. Elle faisait de son mieux Altea, mais les pensées étaient toujours là, elles ne la quittaient pas. Elle avait beau faire tous les efforts qu’elle pouvait pour les ignorer, elles restaient là, perceptibles. C’était comme lorsqu’on mettait une simple couche de peinture sur un mur d’une autre couleur ou sur un papier peint, le motif ou la couleur précédant le changement apparaissait toujours par transparence. Alors qu’elle voulait ne penser à rien, et se concentrait pour cela, Altea pensait donc à toute autre chose. Pourquoi avait-elle choisi de venir ici ? Il y avait-il la moindre chance qu’elle arrive à se réconcilier un jour avec Basilio ? Et avec Lucina, puisque leur relation avait également souffert de tout cela ? Est-ce qu’il y avait vraiment un sens à sa venue à Paris, alors que, si elle tâchait de faire un bilan objectif de ses recherches, elle était encore loin d’avoir une piste concrète pour retrouver son père, ou au moins de savoir ce qui lui était arrivé – ce qui l’avait amenée à partir pour la France en premier lieu ? Est-ce que vraiment elle faisait le bon choix en continuant à vouloir poursuivre ce fantôme ?

Parfois, il lui arrivait de penser que Basilio n’avait pas tort. Lorsqu’ils avaient échangé des messages et que Basilio lui avait écrit cela, « un homme qui n’a jamais lâché sa vie pour elle et leur progéniture (en gros, tout autant un fantôme, disparu de vos vies ou pas au final, y a pas de différence) », elle s’était sentie extrêmement énervée, et encore plus lorsqu’il avait presque insulté sa mère. Mais au fond, elle aussi n’avait pas passé tout ce temps sans se faire cette même remarque. Elle avait commencé son enquête avec sa mère, et plus tard également seule, lorsqu’elle était encore très jeune. Une ado. Pas une adulte comme elle pensait l’être aujourd’hui. Et à cet âge-là, quoi que l’on puisse penser sur le moment, il y a beaucoup de choses dont on ne se rend pas compte. Lorsqu’elle avait 14 ans, l’année de la disparition, elle ne se posait pas autant de questions, elle voulait juste retrouver son père. Avec le temps qui passait et sa mémoire d’enfant, elle avait idéalisé l’absent. Altea ne voyait plus les choses exactement de la même façon aujourd’hui. Forcément, elle se demandait qui était cet homme qui avait toujours refusé de sacrifier sa vie pour sa famille –voulu ou pas, il l’avait et il était souvent présent. Dans des moments de découragement, elle se disait que ce n’était qu’une tentative égoïste d’avoir à la fois une vie de criminel qui l’amusait et une vie normale. Une tentative impossible, et c’était à elle et à sa mère d’en payer le prix. Il aurait mieux fait de les abandonner à sa naissance, de ne jamais se mêler de sa vie. Au moins ça leur aurait épargné bien des souffrances, et à sa mère et à elle. Ç’aurait peut-être été plus difficile au départ, Altea aurait sûrement posé les questions délicates comme « pourquoi je n’ai pas de père », elle aurait eu une phase où elle en aurait voulu à sa mère d’avoir cette différence. Ç’aurait été difficile aussi, certes, mais au moins, ç’aurait été clair, et un jour, ce manque serait passé. Alors qu’Altea n’était pas sûre qu’aujourd’hui ce soit possible. Elle n’était pas sûre qu’elle puisse un jour retrouver sa mère, Antonella, exactement comme elle l’était avant la disparition, avant qu’elles ne soient toutes les deux plongées dans cette obsession de le retrouver, et de faire revenir les choses « comme avant ». Au final c’était peut-être bien Basilio qui avait raison. Pourquoi vouloir à tout prix retrouver quelqu’un qui leur avait probablement faire plus de mal que de bien ? Et quant à elle, Altea se disait qu’il était peut-être temps qu’elle grandisse. Qu’elle arrête de vouloir retrouver son père comme un enfant sans repère et qu’elle commence à construire sa vie, seule, comme une adulte qui n’avait besoin de personne. Mettre de côté tous ces espoirs idiots et les enterrer bien profondément, pendant tout le reste de sa vie.

Finalement, c’était peut-être encore une fois Basilio qui avait raison, en étant parti – et elle qui avait tort de l’avoir en quelque sorte suivi. Connard de Basilio. Et connarde elle-même d’en arriver à penser ça, se dit Altea, soupirant avec beaucoup d’agacement et plaçant un casque contre ses oreilles, mettant une musique rock, fort, pour se détendre, et s’aider à ne pas remuer toutes ces pensées. Ce qui l’énervait le plus, ce n’était pas ce que pouvait lui dire Basilio, c’était elle-même. Elle en avait marre de son propre manque de confiance. Il suffisait de quelques mots de son cousin pour qu’elle se mette à penser contre elle-même, à remettre en questions ses principes. Alors qu’elle y était pourtant attachée. Parce que pour elle, la famille, ce n’était pas seulement les parents qui s’occupaient des enfants quand ils en avaient besoin, et ensuite les enfants qui se barrent. Ça marchait à l’inverse aussi. Et elle se disait que maintenant, c’étaient ses parents qui avaient besoin d’elle. Altea s’en voulait de se sentir si faible, de ne pas arriver à se sentir assez confiante pour résister aux arguments de son cousin, plus jeune qu’elle d’un an. C’en était ridicule. Elle essaya de ne plus penser à tout cela, elle ouvrit sa valise, commençant à sortir quelques affaires, se décidant enfin à s’installer, ignorant encore que bientôt, une autre Tsumi allait venir dans cette chambre…