Pète un coup gamin [Kaan et Dubois]

Depuis 5 ans que Dubois travaillait ici, il n'avait jamais rencontré de personne plus étrange que Kaan Tolan. À part peut-être des créatures dont l'aspect défiait toute logique, mais généralement elles ne survivaient pas plus de 10 minutes.
Du coup, il ne restait plus que Kaan. Imaginez, un super vilain mondialement connu, bras droit d'un des plus grands du métier.... Qui finit médecin dans un établissement scolaire. Non mais ! Quel gâchis ! Et tout ça pour quoi ? Parce qu'Hadès lui avait demandé ? Ca n'avait pas de sens. Mais si tel était le souhait du jeune homme (oui à 30 ans on était encore un jeune homme, c'est ce qui permettait à Dubois d'être juste un homme, et non pas un vieillard) alors soit. Qu'il resté dévoué et gâche sa vie après tout.

Ce que Dubois ne comprenait pas non plus, c'était pourquoi ce gamin faisait toujours la gueule. Il était content d'être là oui ou merde ? Il fallait savoir. Bref, aujourd'hui Dubois avait décidé de se servir de Kaan comme prétexte pour boire (pas qu'il ait besoin de raison pour picoler habituellement). Un petit apéro entre collègues ça ne se refusait pas, non ? Les deux hommes pourraient ainsi faire enfin connaissance et Dubois pigerait peut-être mieux les raisons du comportement du Cerbère. Il se pointa à 17h30 à l'infirmerie, un sac plastique plein de victuailles à la main, et il commença à déballer les boissons et autres gâteaux apéro sur le bureau de son futur compagnon de biture.
Est-ce qu'il l'avait prévenu ? Bien sûr que non, depuis quand Dubois devait demander la permission de faire quelque chose ? Tonton Harker déboucha une bonne bouteille de pinard et servit 2 verres qu'il avait emmené (50cL, on commençait léger).

"Ah, te voilà gamin. Assieds toi faut qu'on cause." dit l'ivrogne d'un ton affable.

L'ancêtre l'ancêtre... Il n'avait que 72 ans Dubois, il était encore jeune ! C'était 6 ans de moins que Michel Drucker ! Tonton Dudu était piqué dans sa fierté, mais sa fierté lui disait également de ne rien montrer. On ne blesse pas un Harker, ce sont les Harkers qui font mal. Alors Harker laissa bien au fond de son sac le whisky qui faisait bien évidemment partie de ses collations de prédilection. Tolan allait boire le vin acheté à Lidl ça lui ferait les pieds.
Dubois esquissa un sourire mi-chaleureux mi-narquois et trinqua à la santé des p'tits chiards de l'institut (après tout un gamin qui claquait c'était des risques de procès, aka une mauvaise pub).

Dubois but une (trop) grande gorgée de jus de fr... Piquette Lidl et répondit :

"On peut discuter de tout, de rien. C'est con t'es là depuis longtemps mais t'as l'air de vouloir être une machine. T'as passé ta période d'essai tu sais, tu peux te dérider."

Dubois essayait de jauger l'homme en face de lui. Le titiller ne le ferait probablement pas sortir de ses gonds mais quelques tournures passives-agressives au sein d'un discours compatissant avaient toujours un petit effet accrocheur.

"Est-ce qu'il y a quelque chose qui te fait plaisir ? Une activité qui te plaît en dehors de ton travail ?"

Bah bien sûr à part Hadès gamin. Dubois ne se faisait pas d'illusions, l'institut n'était que le second employeur du petiot. Après avoir été élevé par Hadès c'était impossible de sortir de son sillage. Il y avait des hommes qui traçaient des destinées autour d'eux, à la place de leur entourage. Ils étaient des guides ou des gourous, suivant le point de vue. Un peu comme les parents de Dubois. Ils avaient créé un clan sans même le vouloir. Harker était devenu synonyme du mal.

"Moi j'ai plein de choses. Ca dépend de qui est autour. Par exemple quand j'ai ouvert mon bar, dans le Morvan, j'en ai profité pour apprendre à cuisiner. Et franchement j'adore. Y'en a dans l'institut qui adorent découper des trucs vivants, les ébouillanter, mettre de l'acide dans leurs blessures... Bah c'est étonnament un peu pareil. Je coupe des légumes, je cuis des trucs, je prépare une sauce au citron et hop ! Le bon pot-au-feu de Tonton Dubois ! Il y a tout dans la cuisine. La précision des gestes, des recettes à suivre à la lettre ou parfois au contraire le besoin d'innover, la patience quand une préparation doit reposer... Je ne dis pas ça parce que je suis français mais... C'est un art à part entière.

Et oui, Dubois n'était pas que le tonton malaise de la famille Harker. Il savait se montrer passionné par autre chose que la bibine ou les théories complotistes.
Parler de cuisine donna fain au vieux monsieur. Il découpa un morceau de pain (et mis des tonnes de miettes sur le bureau de Kaan) et y glissa une bonne part de terrine de canard. Aaaaaah l'apéro

"Je ne me dédouane de rien du tout. J'aime la bonne cuisine, et le crime est dans mon sang. Il y a des choses que je ne laisse pas au hasard."

Se dédouaner ? Et puis quoi encore ! Il n'avait pas besoin d'excuse, pas besoin de se justifier. Et puis... De quoi se pseudo-justifiait-il ? La cuisine n'avait pas d'autre raison d'exister que la cuisine elle même. Hé, ho. Le bon vieux Dudu avait failli se mettre en colère pour juste un mot compris de travers, Kaan n’avait rien dit de mal, bien qu’il ne considère pas que la cuisine soit un art et une science (les jeunes se trompent souvent, c’est comme ça). Dubois faisait des efforts pour ne pas se formaliser. Alors il répondit aussi à la seconde partie de la phrase de son interlocuteur.

"Haha.ça me fait penser à ma première défenestration. C’était en 1962. J’avais 14 ans. Mes parents avaient été engagés par quelqu’un dont je ne peux bien évidemment dire le nom. Ils avaient décidé que je devais les accompagner, que c’était mon rite de passage à l’adolescence. J’étais heureux, fier même. Harker allait devenir une entreprise familiale. Nous avons voyagé jusqu’à Los Angeles et une fois là-bas tout a été très vite. Je ne me souviens plus très bien de ce qui nous avait menés en haut de la PacBell Tower. Quand je ferme les yeux je sens encore le vent qu’il y avait ce soir là sur ma peau. Une main sur chacune de mes épaules. Je crois que c’est ça qui m’a donné la force d’arriver à commettre ce que j’ai fait. Cette présence à mes côtés, la bienveillance de mes parents auprès de moi alors que pourtant je m'apprêtais à tuer une femme. Connue en plus !
Je crois avoir entendu “pou pou pi dou” pendant sa chute mais là c’est ma mémoire qui me joue des tours… Ou alors c’était ma mère qui s’était foutu de sa gueule, je ne sais plus..."

Comme souvent quand il racontait des histoires, Dubois s’enflammait, jouait chaque émotion comme s’il était au théâtre. Il s’était progressivement mis à parler fort et rien ne pouvait le perturber ni lui couper la parole.

"Est-ce que tu ressens la même chose quand tu effectues un contrat pour Hadès ? Cette fierté d’être utile à quelqu’un que tu aimes."