"Patati et patata toute la journée, ça n'arrête pas !" ft. Cunégonde

« Ah Barth, j’ai oublié de vous dire. Vous êtes de corvée ce soir pour une séance de ménage avec une élève forcée de faire de l’entretien. Vous avez rendez-vous au foyer après la fermeture de ce dernier. Soyez à l’heure. Ordre d’en-haut. », je grommelle en guise d’approbation, sans pour autant protester. Quelle merde ! Mon mois d’enseignement gratuit n’a pas l’air d’être suffisant pour la direction. Sans oublier les outils que j’ai dû payer de ma poche pour colmater moi-même le trou que j’ai fait parce qu’on m’a demandé une démonstration de mon pouvoir. Franchement, c’est un gaspillage de mon précieux temps. J’imagine qu’ils ont réalisé que donner de l’argent n’est, en soi, pas un problème pour moi étant donné que je n’en manque pas. Cela dit, ce n’est pas pour autant que je donne mes billets avec le sourire. Il ne faut pas trop m’en demander non plus. Et mes heures de sommeil ? Ils y ont pensé ? Non, évidemment. Ils s’en moquent. Pourtant, ils ne devraient pas. Si je veux donner des bons cours, je dois un minimum me reposer. L’autre chose qui m’énerve dans ce complot évident contre ma personne, c’est que cette requête intervient après mon mois de privation et après la réunion d’orientation. Ils n’auraient pas pu tout me balancer en même temps ? Histoire que j’oublie rapidement cette mascarade. Ah non, ce n’est pas drôle sinon. Nous sommes chez les super-vilains, après tout. Je soupire en haussant les épaules. Bordel, je suis crevé de ma journée et il faut que j’aille passer ma soirée à jouer le baby-sitter tout en maniant le balai et le swiffer. Ah, Armand Trueman… Je vous retiens avec vos propositions à la con !

23 heures, putain. 23 heures. C’est l’heure de fermeture de ce foyer. Et pour ce soir, l’heure à laquelle je suis planté devant la porte, matériel de ménage en main, prêt à être utilisé. Heureusement, elle ne me fait pas trop attendre. Je suis rapidement rejoint par cet élève inconnu qui a visiblement hérité d’une punition pour avoir à faire cet odieux travail. Son uniforme gris m’informe au premier coup d’oeil qu’elle est aussi une fdp. Génial. Non content d’être obligé de faire des heures supplémentaires non dues, je dois me forcer à supporter une membre de la lie de la mutanité. Je soupire bruyamment en levant les yeux au ciel. Bon au moins, elle a pensé à prendre son propre matériel de nettoyage. A moins que, comme moi, elle se le soit vu prêté avec un sourire un peu trop ravi par ces crétins de l’entretien. Oui, entre moi et eux, c’est loin d’être le grand amour. Je frissonne de dégoût rien qu’en repensant à ces asticateurs de balai. Des personnes horribles, à n’en pas douter. « Okay, Cendrillon, je suis ton acolyte pour ce soir. Je vais t’aider à expédier cette tâche. », je commence en la regardant droit dans les yeux avec un air méprisant. « Avant, on va tout de suite mettre les points sur les i concernant notre… Collaboration nocturne. », rien que le simple fait de prononcer ces derniers mots m’écorche violemment la bouche. « Ce qui va se passer entre les murs de ce foyer ce soir… Va y rester. Pour toujours. Je ne plaisante pas. Je suis ton professeur, pas ton pote. Tu me dois le respect. Alors si, par malheur, j’entends que des personnes non-concernées ont eu vent, ne serait-ce que d’un dixième de cette histoire, je viendrai te trouver et crois-moi, tu regretteras de ne pas être partie chez ces bouses de super-héros. Je me suis bien fait comprendre ? », d’ordinaire, je ne tutoie pas mes élèves. C’est une manière de conserver cette distance entre eux et moi. Mais je fais une exception pour ce soir puisque ça me permet d’avoir un ton plus dur, sec et plus menaçant envers elle. Evidemment, quand nous serons de retour dans l’enceinte d’une salle de classe et que cette histoire sera enterrée, je compte bien reprendre le vouvoiement avec la rousse. Pas de traitement de faveur. C’est calculé…

J’attends qu’elle me réponde et une fois que c’est fait, je pousse la porte du foyer.
Plus vite ce sera fait, plus vite je vais pouvoir oublier cette humiliation.

J’ai l’impression qu’elle est effrayée. Et ça, ça me laisse un sentiment mitigé. D’un côté, ça me rassure quant à mon charisme de super-vilain. Il est toujours présent et il fait son petit effet - même si elle n’a pas l’air bien difficile à mettre mal à l’aise. Et justement, c’est bien là que le bas blesse. Si elle est dans cette école, c’est qu’elle veut logiquement faire carrière dans la vilenie. Or, avec une telle attitude, ça me paraît mal embarqué. Mais pour ce soir, je vais devoir me forcer à mettre mes analyses d’enseignant de côté. J’aurai bien le temps de constater plus si elle a la trempe - ou pas - d’une super-vilaine. Dans l’immédiat, j’ai juste envie d’en finir au plus vite pour pouvoir aller me coucher. Je n’ai pas non plus envie de taper la causette avec cette élève. Elève qui, visiblement, est également maladroite puisqu’elle n’arrive pas à franchir le seuil de la porte sans aller embrasser le sol. Et sa première réaction et de…. Se retourner vers moi avec un air de chiot battu. Je soupire avant de lever les yeux au ciel. Oh pitié, comme je sens que la soirée - nuit ? - risque d’être particulièrement longue… C’est complètement contre mon code d’action et ma génétique mais je lui tends la main pour l’aider à se remettre sur ses deux jambes. « J’ai dit que j’étais ton acolyte, pas ton baby-sitter. J’espère que tu ne vas pas passer ton temps face contre terre. », chasser le naturel, il revient au galop. Je ne pouvais décemment pas avoir un geste sympathique (que ce mot est affreux) sans qu’il y ait une pique juste derrière. Au moins, là, je me sens un peu plus moi-même.

« Leclercq. », monsieur Leclercq. Mais c’est quelque chose qui coule de source, n’est-ce pas ? Je me présente à mon tour en me rappelant qu’elle vient de le faire avant d’avoir le droit à une magnifique chute. Oui, elle m’a donné son prénom et moi, je lui donne mon nom. Je n’espère pas particulièrement devenir intime avec elle et c’est pour ça qu’il y a des barrières que je ne peux pas me permettre de franchir. D’un coup d’oeil, j’avise la salle dans son ensemble. A priori, il doit y avoir moyen de finir tout ça avant le lever du soleil et espérer dormir un peu. Mais pour ça, il faut se mettre tout de suite au travail. C’est donc maintenant que je vais voir si cette étudiante est un tant soit peu dégourdie. Et ça commence plutôt mal puisqu’elle n’a pas l’air de savoir vers où se diriger. Bon sang mais elle fait de l’entretien depuis combien de temps, au juste ? « Commençons par nettoyer ce qu’il y a sur les tables et les autres meubles. Comme ça, on pourra mettre les détritus sur le sol sans avoir besoin d’y revenir. », associant les gestes à la parole, je pose mon seau dans un coin de la pièce et tout ce qui est balai et serpillère juste à côté, contre le mur. Je m’arme d’une éponge humide, d’un sac poubelle et je me dirige vers la première table à proximité. Je jette tous les déchets qui me passent sous la main avant de m’attaquer aux coups d’éponge. Il y a de tout… Des miettes de nourriture, des bouts de papier, etc. Un vrai bordel, cet endroit. « Oh Anaïs, tu t’actives ? Plus vite on s’y met, plus on aura terminé. », et plus vite je pourrai oublier cette histoire. D’ailleurs, elle n’aura même jamais existé. Allez, on frotte, tic tac tic tac, dans le foyer tout entier, on frotte, tic tac tic tac, notre jeu détesté...