J’ai toujours été un élève plutôt moyen, à l’école. Loin d’être un surdoué, ni complètement stupide. Je devais fournir des efforts et un travail relativement régulier pour avoir des notes satisfaisantes. Et surtout, j’étais pas trop embêté. Ici, à l’institut Trueman, les simples bordures grises qui décorent mon uniforme suffisent pour attirer les moqueries de ceux qui se pensent supérieur parce que les leurs sont jaunes ou rouges. Heureusement qu’il y a quelques exceptions comme Neville, par exemple. Mais bon, ça reste des exceptions et le principe même de ces dernières, c’est d’être rare. Et puis bon, depuis plus d’un an à l’institut, je me suis habitué aux brimades et aux moqueries. Tellement que désormais, je suis bien plus surpris quand quelqu’un qui n’est pas aussi un FDP se montre gentil envers moi. Comme quoi, c’est assez dingue l’effet qu’une pression sociale peut avoir sur vous. Pourtant, je pense pas appartenir à la catégorie des cancres. Je sais que j’ai certaines aptitudes et que je peux les montrer si on m’en donne l’occasion. Par contre, je m’attendais juste pas à ce que ce soit monsieur Starque qui me permette de montrer ce que je peux valoir. Alors c’est peut-être étonnant mais j’ai pas envie de le décevoir, ne serait-ce que parce qu’il prend la peine de converser avec moi - sans compter le fait que ce soit en anglais - et en plus, il me traite pas d’abruti. Pour ça, j’ai vraiment envie d’essayer de construire ce réacteur mais il faut bien avoir conscience que j’ai jamais garanti la réussite de cette entreprise.

J’espère juste que le prof le sait et qu’il a pas dans l’idée de me reprendre en grippe si jamais j’arrive pas à faire ce qu’il me demande. Tout le monde a pas la chance d’être un génie et puis au moins, je lui montre que je veux tenter les choses. Il y a tout de même trois choses qui m’étonnent après un léger moment de silence : le fait que le prof accepte, le fait également qu’il confirme que les réacteurs sont plus simples que les mains et surtout... Le fait que la vitesse de ses paroles ait soudainement augmenté. Je l’ai vexé en prenant mon temps ? C’est possible même si c’était pas du tout le but. Je dois le savoir pourtant : les vilains, ça a un énorme égo. Dans tous les cas, j’ai compris le message : je peux - dois ? - parler avec lui comme je le ferais avec n’importe quelle personne de mon pays. J’hoche la tête en guise de réponse, attendant les fameuses instructions. Quelques secondes plus tard, il commence à les énoncer et je me concentre autant que je peux pour rater aucune information importante. Il balance tout sans même prendre le temps de s’arrêter ; à se demander s’il continue de respirer tellement il accélère. C’est pas facile mais j’essaye de pas me laisser impressionner pour pouvoir exécuter les consignes. Le débit de paroles me dérange pas en soi mais ce sont les mots techniques que j’ai pas envie de perdre dans le lot. Si j’en loupe un seul, je pense que c’est foutu. Enfin, il s’arrête, croise les bras, recule et m’annonce que c’est mon tour. « Je m’y mets. », on respire... Avec les explications et les schémas, ça doit bien être faisable. Je prends les feuilles, je les organise un peu sur la table puis, je fais la même chose avec les pièces. Bon, me rappeler de ce qu’il a dit et plus encore, dans quel ordre il l’a dit. Une fois que je pense avoir trouvé un bon point d’entrée, je me lance dans la construction. J’attrape des pièces, je bidouille, je jette plusieurs coups d’œil aux schémas, je m’arrête un peu pour repenser aux instructions et j’alterne un peu tout ça. Je sais pas exactement combien de temps ça me prend mais ce qui est sûr, c’est que je mets plusieurs minutes. Encore un peu de temps et je pense arriver à un compromis pas trop dégueulasse. Je me doute que dans ce genre de sciences, on évite le à peu près mais je fais ce que je peux. Et en regardant le dernier schéma, je me dis que ça ressemble, quand même. « J’ai terminé, monsieur. », je pense que j’ai fini qu’il apprécie d’entendre que je suis pas certain parce que ça voudrait dire que j’ai potentiellement fait de l’approximatif et c’est pas ce qu’il m’a demandé. Alors patiemment quoi qu’un peu nerveusement, j’attends son verdict.

Pour le coup, j’ai pas du tout pris en considération la notion du temps. J’étais trop concentré sur mon appareil et l’envie de le réussir autant que possible que j’en suis venu à oublier le temps qui passe. Si j’avais dépassé les délais, le prof m’aurait interrompu, non ? Et puisqu’il ne l’a pas fait, je pars du principe que je l’ai fait dans une durée raisonnable. Ou alors... Non, je préfère rester sur ma première hypothèse. Pendant la création de cet objet, j’ai aussi fait le choix de ne pas relever la tête dans la direction du professeur ; simplement parce que j’avais aucune envie de subir son regard inquisiteur et de passer mon temps à me demander où je me suis planté pour qu’il me dévisage de cette façon. Là au moins, j’ai fait les choses comme je le pensais, sans m’imposer une pression supplémentaire via le regard de l’enseignant. Par contre, désormais, je me retrouve un peu en panique. Le silence est pesant pendant que Tory Starque s’approche et examine mon boulot. Et puis, je sens comme un poids qui quitte mes épaules à l’instant même où il annonce qu’il y a des défauts mais que l’engin fonctionne. Évidemment, je m’attendais pas à ce que ce soit parfait. C’est la première fois que je fais ça et pour moi, sa réponse est déjà une grande victoire. Surtout pour quelqu’un comme moi qui déteste ces travaux pratiques. Pour des génies, cette phrase peut sonner comme un échec mais j’en suis pas un et j’apprécie sa réponse finale. Le professeur termine en hochant la tête avant de poser le réacteur et de reprendre sa place initiale. Je me sens encore plus libéré quand il me dit que cette retenue est enfin terminée. « Non, pas de questions. », si, j’aurais bien aimé qu’il me dise où j’ai mal fait pour pouvoir rectifier le tir la fois d’après mais j’ai déjà la sensation d’avoir abusé de sa patience et j’ai pas spécialement envie de prendre le risque de ternir cette punition réussie. Je suis quand même déjà content d’être arrivé à bout d’une de ses créations même si j’ai encore un peu de mal à complètement y croire. Je sais pas ce qu’en pense le prof mais moi, ce que j’ai fait me plaît. C’est terminé et c’est fonctionnel et je suis d’avis que pour une première fois, c’est ce qui compte. Par contre... Comment ça, d’autres retenues ? « On va faire d’autres séances comme ça ? », c’est bien ce qu’il a dit ? Merveilleux... Je comprends qu’il veuille pas traduire en cours pour une personne et surtout pour un gris. Certes, il a aussi la délicatesse de me prévenir mais, vraiment ? Son petit sourire laisse aucune place au doute. Cette retenue a beau être terminée, c’est visiblement pas la dernière qu’il va me refourguer. C’est donc la mine un peu dépitée que je ramasse mes affaires, que je dis au revoir au prof et que je fonce rejoindre mes camarades pour chercher un peu de soutien et de bonne humeur.

HRP: