A la découverte du placard à balais [Jayden et Lotre]

Travailler en équipe. Par deux. En soi, ça m’a jamais vraiment dérangé. C’est l’occasion de passer du temps avec ses camarades. Parfois d’apprendre à mieux les connaître, aussi. Bon, je sais bien que, sur le long terme, le but est d’être indépendant en tant que super-vilain. Certes, il existe quelques regroupements de professionnels du Mal : les Dark Avengers, la Ligue des Assassins, le groupe des Lanternes Jaunes. Pour ne citer qu’eux. Cependant, il faut tout de même reconnaître que dans notre métier, ça reste plus valorisant de se faire un nom en solo. Mais là, on n’a pas vraiment le choix. Et puis, c’est juste pour un travail. On nous demande pas de choisir un partenaire de méfaits pour le reste de notre vie. Et j’espère qu’ils ont pas dans l’idée de le faire. Quoi qu’il est toujours plus prudent de se méfier, dans cet Institut. Un fait qu’on apprend à ses dépens, le plus souvent.

Nous voilà donc avec quelques jours pour dénicher le partenaire idéal. En ce qui me concerne, j’ai aucune exigence particulière. Tant qu’on fait un bon boulot et que tout se passe bien… C’est ce qui compte. Je me fiche bien ce que ce soit un travailleur ou juste quelqu’un qui sert de décoration. Même si je reconnais que c’est plus agréable d’être avec quelqu’un qu’on connaît ou qu’on apprécie un minimum. C’est pour ça que mon premier réflexe est de me tourner vers mes camarades habituels. Coby ? Indisponible. Owen ? Introuvable - oui, même malgré sa taille lorsqu’il est transformé, je sais, c’est cocasse. Anaïs ? En train de récurrer les toilettes des FAPFAP. Neville ? Il a sûrement mieux à faire que d’aider le FDP que je suis. Et j’ai bien conscience que pote de beuverie veut pas nécessairement dire : amis pour les cours. Du coup, je me retrouve un peu dans une impasse. Je commence même à être sérieusement dépité… Jusqu’à ce qu’une voix s’élève dans mon dos. Toi, moi, faisons équipe… Ton impérieux, allure de princesse. Aucune contestation possible. Je la reconnais après m’être retourné. C’est l’Autre. Hum, pardon. Je veux dire : Lotre. Harker. Sans la connaître personnellement - dans l’immédiat -, j’ai déjà entendu parler d’elle. Une mytho officielle depuis que son secret a été révélé. Peu m’importe qu’elle ait encore réel pouvoir. Elle doit être douée si elle est encore dans les environs. Et de toute façon, j’ai pas franchement l’impression qu’elle me laisse le choix d’aller ou non avec elle. Alors bien sagement, j’hoche la tête sans rien, acceptant son ordre - puisqu’il s’agit plus de ça que d’une offre.

Tant qu’à être ridicule, autant que ce soit avec panache ! C’est ce que je me dis alors que je progresse à travers les couloirs de l’Institut. J’affiche un air aussi fier que possible pour quelqu’un qui est emmitouflé dans des vêtements de ski. Un gros blouson imperméable, des boots de ski, un pantalon chaud. Sans oublier les chaussettes super épaisses dans les chaussures. Très important… Nous voilà finalement arrivés devant le placard à balais - oui, oui -, prêts à partir pour réaliser notre travail de groupe : “Interviewer un super-vilain dans l’exercice de ses fonctions.” Et si on est habillés de cette façon, c’est parce qu’on a eu l’excellente idée d’aller poser des questions à la Sorcière Blanche. Vous savez, celle qui vit au fin fond de la forêt de Narnia. Il paraît que là-bas, c’est frisquet à cette période de l’année - et même durant les autres -, alors on nous a conseillés de prendre ces habits. Quoi qu’il en soit, le rendez-vous est prévu à 14h et je suis déjà présent. Ma partenaire tarde pas à arriver et déjà, elle montre que c’est elle qui décide. « Ouais, allons-y. », je réponds en haussant les épaules. Me dire que je vais atterrir dans un autre monde en passant par un placard à balais, ça me fait bizarre. Mais j’ai pas le temps de plus m’interroger à ce sujet. Nous franchissons le cap en passant de l’autre côté… « Oh bordel, ils avaient raison ! De la neige à perte de vue ! », je m’exclame en laissant mes yeux parcourir le manteau blanc qui s’étend devant nous, sans aucune limite apparente. « Bon, elle habite où, la Sorcière ? Pas trop loin, j’espère. », je demande à mon équipière en me tournant vers elle. C’est que j’ai envie d’assez rapidement me mettre au chaud, malgré ma tenue adéquate. Et j’ai aussi envie de rapidement en finir avec cet entretien, oui. Je l’admets.

Tant qu’on l’a pas fait, on peut pas comprendre ce que ça fait de passer d’un placard à balais (bon oui, être dedans, j’ai l’habitude) à un monde complètement différent et totalement enneigé. C’est dépaysant oui, on peut le dire. Enfin, je suis le seul que ça étonne apparemment. C’est ce que je me dis devant l’absence totale de réaction de ma binôme. Tant pis, c’est pas dramatique non plus. Au moins, elle répond à ma question et ça, c’est sympa. « Bon, plus qu’à trouver ce serviteur, alors ! », je m’exclame en oubliant un peu trop rapidement que la neige va pas nous faciliter la tâche. Trop tard, on s’est engagé, maintenant. Et s’il y a une chose essentielle qu’on nous apprend à l’Institut, c’est qu’on rompt pas un contrat. Alors bon gré mal gré, on commence à progresser dans la neige. Et là, je savoure mes grosses bottes qui, même si elles s’enfoncent à chaque pas, tiennent mes pieds à une température agréable. On avance comme ça, à l’aveuglette. Jusqu’à ce qu’un panneau soit enfin visible. On doit être proche de cette foutue route. Pas que la compagnie de Lotre soit réellement désagréable mais elle est pas très bavarde et j’avoue, je m’ennuie un peu.

On avance encore un peu et on parvient finalement à trouver un carrosse ayant pour chauffeur une marmotte. Une marmotte… Qui lit un journal. Bon, plus rien devrait m’étonner dans ces mondes de fou. Des points positifs et moins étranges ? On a trouvé la route et vu le nom et la photo de couverture de son journal, on est bien à Narnia. Et le dire comme ça, ça me fait étrange. Jamais j’aurais pensé venir pour de vrai à Narnia, un jour. C’est une expérience que je suis pas prêt d’oublier. C’est avec des difficultés certaines qu’on arrive jusqu’à l’animal. Lotre prend les choses en main l’interpelant. Le principal intéressé daigne abandonner sa lecture pour poser ses yeux suspicieux sur nous. Il nous pose une question, sans doute pour être certain de s’adresser aux bonnes personnes. C’est sans compter sur ma camarade du jour qui lui répond de manière, disons-le, très peu amicale. J’espère qu’elle a pas trop froissé la marmotte sur ce coup-là et je m’inquiète un peu en voyant l’animal prendre un air vexé. … D’accord. J’ai pas franchement envie qu’il nous laisse sur le bord de la route alors si conversation il doit y avoir, il vaut mieux que ce soit avec moi.

Souhaitant profondément détendre l’atmosphère déjà bien naturellement glacial, je laisse Lotre s’installer dans le carrosse et je décide de me mettre à côté du pauvre animal qui a rien demandé. Une fois tout le monde assis, on se met à rouler vers le château. « Excusez-la, elle voulait pas vous vexer. », oh en fait, je suis sûr que si, c’était exactement son but. « Elle n’est pas très aimable ta copine, mon garçon. Même pour une apprentie super-vilaine. », répond-il, visiblement pas totalement remis de l’affront qu’il vient de subir. « C’est pas ma copine. C’est un concours de circonstances qui a fait qu’on se retrouve à devoir bosser sur le même projet. Mais c’est temporaire. », j’explique en haussant les épaules. « Alors, un conseil : trouve-toi un autre partenaire quand vous aurez terminé ce travail de groupe. », ah, je crois qu’il a vraiment pas apprécié la répartie de ma binôme. Rien de très surprenant, finalement. « Je… Vous savez, je sais pas trop comment je me suis retrouvé avec elle. Mais à l’Institut, on raconte que Lotre est un génie alors si je peux aussi profiter un peu de ses talents, pourquoi pas ? Après, c’est vrai que ça aurait été plus sympa’ d’être avec un pote. Par exemple, il y a Neville. Lui, je l’adore. Il est génial et je suis bien content qu’on soit devenu des amis. », j’ai un sourire aux lèvres rien qu’en repensant à toutes ces conneries et ces délires avec lui. Ouais, franchement, je suis bien satisfait de cette rencontre.

Je continue de discuter de choses diverses et variées avec notre conducteur durant le reste du trajet. C’est intéressant de discuter avec une marmotte qui parle. Et puis, elle est pas si débile que ça. Enfin, est-ce que je peux vraiment me permettre de juger l’intelligence de quelqu’un ? Je sais pas trop. Quoi qu’il en soit, c’est sans prévenir que notre conducteur se débrouille pour faire soudainement piler son carrosse. Je m’agrippe au premier truc qui me passe sous la main pour pas me retrouver éjecté. « Vous êtes arrivés ! », lance-t-il avec l’air un peu trop joyeux de celui qui attendait avec impatience le moment de nous virer de son véhicule. Je m’en formalise pas et je descends. Les pieds de nouveau dans la neige, je lève les yeux et… Je me sens soudainement bien petit, devant cet édifice monumental ; tellement élevé que je suis pas certain d’apercevoir son sommet. « Impressionnant même si j’espère qu’elle a suffisamment d’argent de côté pour l’électricité parce que sa facture doit pas être petite. », je ricane de ma propre blague avant de me racler la gorge pour reprendre mon sérieux. « Euh… Lotre ? Je te laisse toquer à la porte ? Je le sens pas trop, si c’est moi qui le fais. », pitié, qu’elle dise oui. La Sorcière, je l’imagine déjà super flippante. Alors je préfère que ce soit ma partenaire du moment qui s’occupe de la première approche. Et puis, je me dis qu’elles sont toutes les deux des filles… ça va probablement faciliter le contact, non ?

Les marmottes, ça peut avoir une vie fascinante. Réellement. Je pensais pas dire ça un jour mais il faut bien que je me rende à l’évidence. Celle qui nous sert de chauffeur a tout simplement vécu des choses tristes et fascinantes. Je me demande si c’est comme ça pour toutes les créatures de Narnia et seulement pour elles… Ou si, dans notre monde, les animaux peuvent aussi avoir ce genre de problèmes. Non mais il faut se rendre compte ! Je sais plus trop comment on est arrivé là mais elle en vient à me parler d’une guerre de succession qui a eu lieu dans sa famille depuis… Comment déjà ? Le décès de leur grand-père, apparemment. La marmotte qui a fondé la chocolaterie Milka. Ouais, un truc de dingue. Et moi, je l’écoute, passionné, en ouvrant des grands yeux complètement admiratifs. Oh, quand je vais raconter ça aux copains… Ils vont pas en revenir. Je trouve que c’est un sujet qui mérite largement qu’on s’y intéresse. Et ça me met bien plus à l’aise que les critiques sur ma partenaire ou quand je dois parler des autres. Oui, c’est beaucoup mieux comme ça. Mais le clou de cette histoire, c’est sans doute que la marmotte qui nous conduit est celle qui a renié sa famille et qui est devenue un sbire de la Sorcière Blanche. Destin à la fois émouvant et tragique qui me donne presque envie de pleurer.

Le largage est étonnamment violent mais… Inutile de s’y attarder. Tout d’abord, je suis surpris de réussir à arracher un sourire à Lotre suite à ma blague sur la facture d’électricité de la Sorcière. Ensuite, je sais pas trop comment prendre le fait qu’elle ignore totalement ma question. Tant pis, j’insiste pas. Si elle prend les devants et qu’elle le fait, tant mieux. Sinon… Bah il faudra bien que quelqu’un se dévoue. Hors de question rentrer bredouille à l’Institut. C’est le moment qu’elle choisit pour me donner une information que j’attendais pas et que j’avais pas demandé. Son frère ? Qui ça ? On a à peine le temps de faire quelques pas en direction du palais qu’elle répond à ma question muette, donnant un simple prénom. Neville. Je me stoppe net, tombant des nues. Neville a une soeur ? Et c’est Lotre ? Mais aucun des deux en a jamais parlé. C’est trop bizarre. « Comment ça, Neville est ton frère ? », je lui demande en écarquillant les yeux, totalement perdu par cette révélation. Pourquoi elle me parle de ça, déjà ? Ah, elle m’a probablement entendu parler du bouclé à la marmotte. Je vois que ça. C’est pas dramatique mais je pensais pas que ça provoquerait ce genre de réaction chez elle. Je connais pas leur histoire et ça me regarde même pas. J’aurais même pas dû poser ma dernière question… Mais ça a été plus fort que moi et j’ai parlé sans réfléchir. Enfin, elle me répond, vite fait. Ils sont pas proches, se connaissent à peine, famille traditionnelle de super-vilain… Oui, je vois le genre. A peu près. C’est tout de même un peu flou pour moi étant donné que mes parents ont absolument rien à voir avec ce monde-là. « D’accord, je lui parlerai pas de toi. », qu’est-ce que vous voulez que je dise de plus ? Je pourrais lui poser plein de questions, lui demander pourquoi elle veut pas que je lui parle d’elle. Mais ce sont là des histoires de famille qui me concernent pas. J’aurais même pas dû être au courant de leur lien de parenté. Mais j’ai beau être souvent vu comme un nul, il en reste pas moins que je suis quelqu’un qui a qu’une seule parole. J’ai promis de rien dire et c’est ce que je vais faire.

Heureusement, la conversation s’étend pas davantage sur le sujet puisqu’on n’arrive rapidement face à la grande porte. Lotre accepte finalement de passer la première et je la laisse faire bien volontiers. Elle saisit le heurtoir magnifiquement sculpté - même si c’est violent - elle donne plusieurs coups sur la porte. Cette dernière s’ouvre rapidement quelques secondes plus tard pour laisser apparaître une très belle femme habillée de blanc. La Sorcière, à l’évidence. Pas besoin d’être très intelligent pour le deviner. Par contre… Vraiment, elle est au téléphone ? J’ignorais que le réseau téléphonique passait aussi bien à Narnia. Je retiens un rire en comprenant qu’elle est en ligne avec Elsa. LA Elsa, celle qui aurait plus sa place chez les vilains que chez les héros. Parce que de toute façon, tout le monde sait bien que la vraie héroïne d’Arendelle, c’est Anna. Sans elle, la pseudo Reine des Neiges se serait déjà fait atomiser. D’ailleurs, je crois qu’elle commence à en avoir conscience vu la réponse de la Sorcière sur la question des formations. Oh, respire Jayden, respire… C’est pas le moment d’exploser de rire. Heureusement, elle finit par raccrocher en évoquant leurs retrouvailles à la raclette d’un certain Captain Cold. Ah, je le connais pas, celui-là. Elle nous regarde bizarrement avant de nous inviter à entrer en disant qu’elle a fait préparer du thé glacé. Parfait, j’adore ça. Bon, tout a l’air de se dérouler correctement. Lotre semble d’accord vu le signe de tête qu’elle m’adresse. On a plus qu’à espérer que ça continue sur cette lancée, maintenant. En voyant ma binôme sortir le bloc-note de son sac, je me mets à l’imiter pour attraper le mien. Nous nous installons ensuite dans l’immense salon de la Sorcière alors qu’un serviteur vient nous servir les thés glacés. J’ouvre mon carnet en survolant rapidement les questions notées puis, je tourne ma tête en direction de ma collègue de travail. Je la regarde d’un air qui veut dire : tu veux bien commencer, s’il te plaît ? Pourvu qu’elle comprenne. Je peux faire la deuxième question de la liste après elle mais pour le moment, je me sentirai déjà beaucoup mieux c’est elle qui engage la conversation avec la Sorcière. C’est qu’elle est intimidante et j’ai pas très envie de me faire rembarrer d’entrée. C’est vraiment elle qui me fait peur. Pour les questions, elles sont pertinentes et je fais confiance au résultat final.

Je suis pas un professionnel de la mode mais je pense pas trop me tromper en disant que la Sorcière pourrait revoir sa décoration intérieure. Les meubles de glace et les sculptures humaines de glace, ça fait un peu old school. On devrait peut-être lui présenter l’entreprise Damidot Rénovation. Vu les miracles qu’ils font à l’Institut, j’ai aucun doute sur le fait qu’ils puissent rendre cet endroit un peu plus chaleureux - littéralement. Et encore là, c’est seulement le salon. J’ose même pas imaginer comment est le reste de la baraque. Enfin a priori, on a juste quelques questions à lui poser. Il y a aucune raison pour qu’on doive aller dans les autres pièces. C’est ce que je me dis avant de lorgner sur les tasses de thé glacé tout en m’installant dans le fauteuil, face à la Sorcière et à côté de Lotre. En attendant, j’ai aucun scrupule à laisser ma partenaire faire les traditionnelles présentations. Je relève pas la réponse de la Sorcière Blanche lorsque Lotre dit son nom. A cet instant, je suis bien trop occupé à savourer ce succulent thé glacé. Bordel, McDo devrait vraiment en prendre de la graine. Et tous les autres fast-food aussi, d’ailleurs. Est-ce que ça se fait, de demander à la maîtresse des lieux, comment cette boisson est préparée ici ? Je sais pas trop et dans le doute, je préfère garder cette question en tête pour plus tard. Genre, pour la fin de l’entretien… Pour le moment, il faut surtout que je pense à l’interview qu’on doit faire. Sur ce, je relève la tête pour saluer notre hôtesse lorsque ma comparse donne mon identité. « Merci. Que vous l’ayez remarqué et aussi rapidement, ça me touche beaucoup. », je réponds sobrement. Bon, j’ai pas de pouvoir lié à la glace comme elle… Mais ça, elle est pas obligée de le savoir. Déjà parce que j’ai pas envie d’entrer dans les détails et en lui expliquant qu’elle n’a pas tout à fait raison. Et ensuite… Parce que je suis pas idiot, contrairement à la croyance populaire. Je me doute bien qu’on va peut-être pouvoir profiter de ce pseudo point commun pour, éventuellement, avoir quelques ragots croustillants supplémentaires sur cette chère Sorcière. Sans oublier que je préfère éviter de trop en dire. J’ai pas envie de me faire atomiser par Lotre à la fin de cette entrevue. Du reste, il est temps de passer aux choses sérieuses. A mon tour, j’attrape un stylo avec mon bloc-note et je me prépare à noter les différentes réponses que la Sorcière va donner.

D’habitude, je me gêne pas particulièrement pour parler mais cette fois-ci, je fais en sorte de rester silencieux. J’écoute les paroles de la Sorcière Blanche très attentivement et je note ce qu’elle dit de manière résumée, en-dessous des questions notées sur mon carnet. Pas besoin de réécrire mot pour mot ce qu’elle raconte et puis surtout, j’ai pas le temps de le faire. Les anecdotes de la super-vilaine sont néanmoins très intéressantes et je pense qu’elles peuvent être bonnes à retenir. Ne serait-ce que pour partager avec les autres ce que j’ai pu apprendre sur elle. Comme le fait qu’elle ait voulu être une héroïne en premier lieu mais que ça n’a pas fonctionné. Elle s’est donc résignée à passer un marché avec Aslan pour être sa Némésis. C’est là que sa carrière a décollé, après un passage à la Luthor Academy. Et puis, je suis d’accord avec elle : en tant que méchante, elle a beaucoup plus de liberté et elle a pas à faire semblant. Comprenant que la Sorcière a fini de répondre à cette question et captant le regard de ma binôme, je saisis rapidement que c’est à moi d’enchaîner. Mes yeux parcourent le petit bloc-note à la recherche de la question suivante. Une fois trouvée, je lève la tête et les yeux en direction de la super-vilaine qui nous fait face. « Concernant votre pouvoir, son utilisation a-t-elle toujours été une évidence pour vous ? Ou votre apprentissage vous a permis de le voir différemment et de mieux exploiter son potentiel au maximum ? », la réponse à cette question m’intéresse tout particulièrement. « La maîtrise d’un pouvoir n’est jamais immédiatement complète. On le découvre, on apprend à se familiariser avec lui… Mais les premières utilisations qu’on en fait sont souvent instinctives. On fait les premières choses qui nous viennent à l’esprit sans penser que, peut-être, il peut y avoir d’autres moyens de s’en servir. Il y a aussi des pouvoirs qui ne se contrôlent tout simplement pas sans aide extérieure. », j’hoche la tête, sachant très bien de quoi elle parle pour en avoir vu plusieurs exemples chez les fdp. C’est souvent ce problème qui leur vaut un uniforme gris, d’ailleurs. « En ce qui me concerne, j’étais plutôt dans le premier cas. Je savais globalement contrôler mon pouvoir mais sans l’aide de mes instructeurs de l’académie, je n’aurais probablement pas pris la mesure de son ampleur. Ces gens m’ont permis de l’exploiter à cent pour cent de ses capacités. Après, selon le pouvoir, il y a des marges de progression qui sont plus ou moins grandes. », donc, il est possible d’en faire une utilisation différente de ce pour quoi il semble être conçu à la base. C’est bon à savoir. « ... Vous voudriez peut-être que je vous aide avec le vôtre ? Les pouvoirs en rapport avec la glace, c’est mon domaine, vous savez. », je me retiens in extremis de recracher le thé glacé que je viens juste de mettre dans ma bouche. Ah… Alors, elle pense réellement que mon nom est indicateur d’un pouvoir similaire au sien. J’avale la boisson avant de répondre. « Je… Merci mais ça ira. Les professeurs de l’Institut Trueman sont tout à fait compétents. », je réponds en baissant les yeux sur le papier pour noter rapidement : utilisation pouvoir d’abord instinctive, apprentissage a permis une meilleure exploitation. Je lance ensuite un regard plus ou moins discret à Lotre. Pourvu qu’elle poursuive, qu’on puisse rapidement changer de sujet. J’ai pas envie d’avoir à trop papoter pouvoir avec la dame glacée.

Spoiler:

La question sur les pouvoirs est très importante pour moi. Elle me permet d’en apprendre un peu plus sur le mien, de savoir si je peux en faire une autre utilisation que celle de base. Et je suis bien content que la Sorcière m’apprenne que c’est en effet une possibilité. Je sais bien que la valeur d’un vilain se mesure pas à son pouvoir mais il faut quand même reconnaître que dans certains cas, ça peut beaucoup aider. Avoir un pouvoir utile et puissant facilite tout de même la vie des Supers, il faut pas se mentir. C’est vrai, certains comme Luthor sont renommés alors qu’ils se battent sans pouvoir contre des êtres qui sont presque dopés. Mais quand même. Si on a le combo esprit maléfique et super pouvoir badass, alors on est gâté par la nature. Et je suis d’avis que personne peut refuser ça si on lui proposait. Pas même des personnes comme Lotre qui, pourtant, se débrouillent très bien sans. Loin de moi l’idée d’être vexant seulement, c’est ce que je pense.

Moi-même, je me dis que je pourrais apprécier l’idée d’avoir un pouvoir qualifié de cheaté. Simplement pour voir ce que ça fait. Je ne dénigre pas celui dont j’ai hérité mais il est évident qu’il est inférieur à bon nombre de capacité. Je reste persuadé qu’il est possible pour moi d’en faire quelque chose mais paradoxalement, je vais pas le crier sur tous les toits. Même Lotre, ma binôme, ignore ce que je suis capable de faire. Elle doit juste se douter, vu la couleur de mon uniforme, que c’est pas forcément très glorieux et c’est déjà bien assez. C’est peu dire d’affirmer que je suis soulagé lorsqu’enfin, le sujet change au moment où ma comparse reprend les questions. Elle l’interroge sur son cursus et après avoir repris contenance, j’enchaîne en demandant à la Sorcière comment s’est déroulée son évolution : les différences qu’elle a pu ressentir entre ses premières années à exercer en tant que super-vilaine officielle et certifiée jusqu’à aujourd’hui. Les questions sont posées les unes après les autres et les réponses de notre interlocutrices sont très claires et constructives. Avec tout ça, l’exposé va être bon, ça fait aucun doute. Je note consciencieusement toutes les informations importantes délivrées par notre interlocutrice. Après de longues minutes, la dernière question est posée et c’est Lotre qui met officiellement fin à cette entrevue. Et j’aurais certainement pas dit mieux qu’elle.
« J’y manquerai pas, ma... », madame ? Mademoiselle ? Comment dois-je la qualifier ? « Merci pour votre proposition et pour votre collaboration. », et hop, improvisation. C’est le seul moyen que j’ai trouvé pour éviter de la vexer. D’autant que je suis pas certain d’avoir spécialement envie de m’enfermer dans un château aussi froid et ce, dans tous les sens possibles du terme. En quelques gorgées, je finis mon thé glacé, adresse un signe de la tête à la Sorcière et je suis la marmotte qui vient nous raccompagner à la sortie. Bon, voilà un voyage de fait. Plus qu’à attendre que le traîneau vienne nous ramasser pour nous ramener vers le placard à balais.

C’est sans compter sur Lotre et ses idées un peu folles… Je me demande ce qu’elle fait lorsqu’elle met les mains dans son sac et je me sens encore plus perdu lorsqu’elle en sort des objets à l’apparence métallique. C’est quoi ces trucs ? « Je… D’accord, pourquoi pas. Tu as une idée en tête ? », je réponds non sans une certaine hésitation à la question de ma camarade. J’ai d’abord pensé refuser son offre et puis je me suis dit : pourquoi se priver ? On vient pas à Narnia tous les jours et ce serait bien dommage de passer à côté d’une telle opportunité. La marmotte est partie et la forêt n’attend que nous. Je suis donc Lotre jusqu’à une cabane gelée sans savoir dans quoi je m’embarque. Histoire de garder la surprise, je reste à l’extérieur en remerciant mes vêtements suffisamment chauds pour pas me faire claquer d’hypothermie. Plusieurs minutes passent avant que la porte s’ouvre enfin pour laisser apparaître une Lotre un peu trop souriante pour que ce soit une bonne chose. La vieille luge qu’elle customise avec ses objets aide pas non plus, je dois dire. Enfin, le mystère est résolu : ce sont des moteurs. « Des moteurs combinés à une vieille luge ? T’es sûre de ton coup ? », je doute pas de l’intelligence de la mytho, seulement de la finalité de cette opération. « Mettons, je suis curieux de voir ce que ça donne. Allons-y pour un peu de vitesse ! Je me mets… Comme ça, là. C’est bon ? », je demande en me positionnant debout sur la luge, de manière aérodynamique même si je suis pas du tout certain du terme à employer. « Okay, c’est quand tu veux ! », je suis prêt pour foncer à travers les bois. Et puis en y réfléchissant, qu’est-ce qui peut mal se passer ?

« M’asseoir ? D’accord. », dis-je en suivant les conseils de Lotre, me mettant assis comme je peux sur cette luge. Je fais pas tout ce qu’elle me demande comme un mec incapable de prendre ses propres décisions mais j’estime qu’elle sait de quoi elle parle. Et puis après réflexion, je suis plutôt d’accord avec elle : c’est mieux d’être assis. Maintenant, je suis prêt et bien accroché alors c’est quand elle veut pour le départ. « Comme une luge traditionnelle, c’est noté ! », la vérité, c’est que j’ai jamais vraiment conduit de luge, même classique. Mais bon, ça doit pas être bien difficile. Je pense pas avoir besoin d’être un génie comme Lotre pour maîtriser ce… véhicule. Même s’il va plus vite, c’est pas le genre de truc qui m’effraie au point de m’arrêter. Je suis prêt ou du moins, je crois l’être quand ma partenaire appuie sur le bouton de démarrage. Les moteurs vrombissent, presque comme ceux d’une voiture et je me sens propulsé sur la neige fraîche de Narnia. La vitesse est largement supportable et j’arrive globalement à diriger et à éviter de me prendre les arbres dans la figure. De temps en temps, je lâche quelques « wouhou ! » lorsque je passe sur un monticule de neige qui me fait planer quelques secondes avant d'atterrir pour poursuivre ma route. Sérieusement, Lotre est géniale. Tout ça, c’est génial et je la remercie de me permettre de profiter d’une telle expérience. Sincèrement, je m’éclate et j’estime que les longues minutes passées à converser avec la Sorcière Blanche méritent bien une telle récompense.

Je m’étonne moi-même de la maniabilité de l’engin et de ma capacité pas trop mauvaise à le faire aller dans les bonnes directions. Et en fait, j’aurais pas dû m’envoyer des fleurs de cette manière. Parce que quelques secondes plus tard, c’est le drame. Je sais pas pourquoi mais je finis par perdre le contrôle de la machine. Elle commence à vriller, à aller dans tous les sens et j’ai beau tout essayer dans la panique, j’arrive pas à la faire aller où je veux. J’ai pas le temps de me poser plus de questions que je finis littéralement par rentrer dans un arbre dans un énorme boum. Mon corps est soudainement extrêmement douloureux et je fais appel à toutes mes forces restantes pour m’éloigner le plus possible - et rapidement - de la luge enfoncée dans cet arbre. Et des moteurs… Oh merde ! Des moteurs foutus qui commencent à prendre feu. Oh bordel, qu’est-ce qu’on a foutu ? « Lotre ? Eh Lotre ! LOTRE ! Je suis là ! Tu peux venir m’aider ?! », je m’égosille en appelant ma partenaire après avoir entendu sa voix appeler mon prénom. Quand enfin, elle arrive à me retrouver, dire que je suis soulagé est un doux euphémisme. « Tu peux m’aider ? », je répète ma demande d'une petite voix un peu ridicule. Je grimace et je gémis de douleur, allongé dans la neige. « S’te plaît. », j’implore presque en me disant que là, on est vraiment dans la merde.

Je commence déjà à sentir mon cœur qui s’apaise quand Lotre accourt dans ma direction. Au moins, je vais pas finir en esquimaux. Tout ce que je veux là, c’est fuir cet endroit. Partir, le plus loin possible avant que quelqu’un finisse par remarquer qu’on fait encore mumuse dans le secteur. La mytho essaye de me relever mais même avec tous les efforts du monde, j’arrive pas à rester sur mes jambes. Le moindre petit geste me fait affreusement mal et j’ai l’affreuse impression que le trois quart de mon corps a au minimum doublé de volume. Comme si la situation était pas assez désastreuse comme ça, un renard passe non loin de nous en courant en criant le retour d’enfants d’Adam qui annoncent le retour du printemps. Sur le coup, je comprends pas ; je suis bien trop occupé à compter mes dents et à pas me laisser envahir par la douleur qui m’assaille de toutes parts. C’est là que oui, le printemps pointe le bout de son nez en seulement quelques secondes. La neige à l’apparence éternelle fond drastiquement jusqu’à disparaître complètement, laissant place à l’éveil soudain des fleurs et autres végétaux. Le spectacle aurait pu être splendide, s’il ne signifiait pas la naissance d’une réelle catastrophe. « Le... Quoi ? Ah. Oh. Merde. Aïe... », c’est tout ce que je parviens à articuler en émettant un véritable cri de douleur au point où je me tiens les hanches dans l’espoir illogique que ça atténue un peu. Ouais, il faut qu’on se barre ; tous les deux.

Sous mon regard ébahi, Lotre avale derechef une pilule verte un peu étrange sortie tout droit de son sac. En deux-deux, elle m’explique que c’est une pilule de super-force et qu’elle va me porter pour le trajet du retour mais il faut que je la guide. « Okay, c’est pas un problème ! », mon nez est une valeur sûre, on va vite le retrouver, ce placard à balais. Plus efficace que Google Maps. J’attends que ma camarade me porte et je commence à lui indiquer les directions au fur et à mesure qu’on avance ; en humant l’air comme le font les chiens, tout en faisant fi au maximum des différentes douleurs qui parcourent mon corps. La concentration avant tout pour rentrer à la maison. « A gauche... à droite. Gauche. Gauche encore. Tout droit. A droite. Gauche. Droite. Droite. Tout droit. », je donne le chemin au feeling, par rapport au ressenti que mon nez m’apporte. Après plusieurs minutes à répéter ces mots en boucle mais toujours dans des ordres divers et variés, on aperçoit enfin la porte du placard qui tranche avec le reste de l’environnement. « Là, regarde, elle est là-bas ! », je hurle alors que Lotre nous fait franchir les derniers mètres qui nous séparent de notre porte de sortie - littéralement. On s’engouffre à l’intérieur dès qu’on arrive à proximité. « La porte ! Ferme la porte, vite ! », à défaut de pouvoir le faire moi-même, j’espère que ma camarade va être suffisamment réactive pour le faire et éviter que d’éventuelles catastrophes s’étendent jusque dans notre monde.