I want a revelation (so listen to my declaration) - Altéa & Barbie

La musique avait toujours eu une place importante dans la vie de la famille Tsumi. Dans la mémoire d'Altea, cet amour avait débuté avec Adrian. Son oncle s'était passionné pour cet art et s'y était révélé talentueux. Fut un temps où il jouait dans les bars de Jacksonville, avec sa guitare et sa voix se mouvant avec grâce dans les aigus. Il était doté de l'oreille absolue et s'appropriait de nombreux instruments. Il y avait aussi initié les triplés, qui le rejoignaient parfois sur scène. Enfin, "les triplés", c'était un peu simplifier. Si Adriel et Abby avaient un don similaire pour la musique, ce n'était pas dans cette forme d'art qu'Antonella s'illustrait. Son univers à elle, c'était le dessin, s'exprimer avec les formes visuelles, et ce avant-même la découverte de son pouvoir. C'était bien cela qui l'avait d'abord menée à devenir tatoueuse. Altea n'était donc pas issue de la branche la plus musicienne de la famille. Sa mère ne se sentait pas à son aise dans cet art, et son père, s'il adorait la musique, n'avait jamais touché d'un instrument. Elle était donc un peu moins bien placée pour reprendre cette tradition familiale que Basilio ou Lucina, qui vivaient dans une maison remplie d'instruments de musique et en avaient commencé très tôt l'apprentissage. Cela dit, sa proximité avec la branche Adrianesque de la famille avait également permis à Altea de baigner dans cette atmosphère... Et de l'apprécier tout autant que les jumeaux.

À force d'essayer tous les instruments à sa disposition, elle avait choisi ses préférés. Les instruments à cordes étaient ceux qui avaient le plus vite gagné son cœur. Les sons rudes des cuivres ne l'attiraient pas, les percussions manquaient pour elle de variété - chercher les rythmes l'amusait, mais elle devait bien avouer être davantage accrochée à la mélodie - et le travail de souffle délicat des bois ne lui plaisait pas autant que l'agilité digitale requise par les instruments à cordes. Les cordes étaient les instruments les plus extérieurs, ceux avec lesquels le corps était le moins en contact. Parfois, seul le bout des doigts pouvait relier l'instrument à l'instrumentiste. Et pour Altea, parce que c'étaient les plus extérieurs, c'étaient aussi ceux qui demandaient le plus d'effort pour se les approprier. Lorsqu'elle voyait un instrument à cordes - violon, violoncelle, guitare, piano... - elle le considérait comme un animal sauvage. Un animal à apprivoiser, doucement, dans une relation de confiance. Ils attisaient sa curiosité autant que sa bienveillance et sa patience. Elle voulait les connaître, les comprendre, en faire le réceptacle de sa subjectivité. Elle jeta donc son dévolu sur cette famille instrumentale.

Et parce que dans toute famille, avouons-le, on a ses préférés, Altea s’était particulièrement entraînée sur trois instruments. Tout d’abord, l’alto l’avait séduite. C’était un instrument rare, souvent assez peu mis en avant. Mais c’était surtout un instrument unique, qui demandait l’apprentissage d’une clé de lecture différente du reste de la famille des cordes, propre à l’alto, la clé d’ut. Les sonorités plus graves et plus chaleureuses que celles du violon lui avaient plu. Elle avait le sentiment de créer des sons accueillants, solides, profonds… sans que cela n’exclue la virtuosité. L’alto avait aussi un caractère léger, aérien, presque pratique par sa petitesse, qu’elle ne retrouvait pas dans le violoncelle, bien qu’elle en adorait les sons. Dans un quatuor à cordes, l’alto avait un rôle de pilier, c’était celui que l’on remarquait peut-être le moins, mais qui faisait tenir l’ensemble. Ce rôle lui plaisait bien. Et en choisissant cet instrument, elle se démarquait un peu de son oncle et de son cousin, qui avaient une préférence pour le violon. Ensuite, la guitare, qui lui procurait un sentiment de simplicité et de détente. La polyphonie qu’elle offrait en faisant un instrument autosuffisant, et elle pouvait jouer tout en chantant, contrairement à l’alto. C’était pour l’instrument d’expérimentation musicale dans l’intimité et de partage lors de soirée –sortir une petite guitare et faire quelques accords donnait tout de suite un caractère aux rassemblements… Et enfin le piano. Le piano était pour Altea un défi. C’était un instrument lourd, immense, qu’il était difficile de s’approprier avec son corps. Le piano demandait beaucoup d’énergie, une certaine force… Lorsqu’elle avait envie d’expier sa rage, c’était celui qu’elle choisissait, en se plongeant dans des avalanches rapides de notes et d’accords, même si elle aimait tout autant le répertoire plus doux.

Amener un alto et une guitare à Paris n’avait pas été très compliqué. Trouver comment jouer discrètement du piano à l’Institut Trueman était déjà une autre paire de manches. Altea n’aimait pas s’entraîner devant d’autres, elle préférait s’exercer dans le calme, et se détendre pleinement. Elle n’avait donc pas rejoint le club de musique –qui lui aurait donné l’accès au piano... En plus de cette réserve, un autre obstacle à son inscription était la présence de Basilio. Elle savait combien il adorait la musique et… elle avait peur de gâcher son plaisir en s’inscrivant également au club. Elle s’était cependant renseignée sur les horaires pour savoir quand la salle était libre, et elle s’était arrangée pour y venir de temps en temps jouer du piano. Elle venait toujours à peu près à la même heure, la seule qui coïncidait avec ses autres activités. Ce jour-là, la mélomane n’avait pas dérogé à son habitude et s’était rendue dans la salle de musique après un cours de combat au corps-à-corps. C’était l’un des seuls cours où elle ne se montrait pas réticente à attaquer les autres. Elle le voyait comme un cours de sport normal, comme les entraînements qu’elle suivait avant ses missions de super-héroïne. C’était sûrement dans ces moment-là qu’elle se fondait le plus dans la masse des étudiants super-vilains… et qu’elle s’en distinguait en même temps, par son aisance. La concentration que ces cours exigeaient la détendait. Son esprit tout entier était focalisé sur ses gestes et sur le moment présent, et c’était cette sensation qu’elle était venue prolonger avec la musique.

Que choisir aujourd’hui ? Pour prolonger la détende… Une gnossienne de Satie, tiens. Des sonorités claires, et un certain détachement. Altea commença à jouer la première par cœur, se plongeant dans l’atmosphère mystérieuse de cette composition. Mais à peine fût-elle arrivée à la moitié de la pièce qu’elle entendit une voix dans le couloir. Une voix de plus en plus forte qui entonnait… Hamilton ? Ah, d’accord… Bon. Pourquoi pas, c’était sympa Hamilton. Altea l’ignora, restant dans sa musique jusqu’à ce qu’elle entende la porte s’ouvrir sur un grincement et le final de la chanson de comédie musicale. Là… cela suffisait pour rompre sa concentration. D’abord parce qu’elle n’avait pas prévu de jouer en présence de quelqu’un, mais aussi… parce que c’était franchement drôle. Barbara Gward, la petite terreur des Omégas qui s’enjaillait toute seule sur Hamilton, avec ses écouteurs. Elle avait une jolie voix, elle chantait juste… Du coup, on pouvait lui pardonner cette intrusion. Surtout qu’Altea ne devait pas être là normalement, alors elle n’avait rien à dire. Elle esquissa simplement un léger sourire en voyant la responsable de ces envolées lyriques.

Altea connaissait la réputation de Barbara parmi les élèves, et elle était assez terrible. Il semblait aussi qu’elle ait la fâcheuse manie de maltraiter des FDPs avec son pouvoir… mais avec Altea, elle s’était toujours montrée aimable, sympathique. Elles ne s’étaient croisées que quelquefois dans les cours, et en chacune de ces occasions, Altea n’avait rien eu à lui reprocher personnellement. Elle l’avait vu aussi, de loin, s’amuser et se rapprocher beaucoup de Basilio… L’adolescente rousse lui avait d’ailleurs quelques fois posé des questions sur son cousin, innocemment. Les premières impressions d’Altea sur Barbara n’étaient donc pas mauvaises, en dehors de sa réputation, mais elle n’était pas du genre à s’y arrêter. Alors forcément, elle n’allait pas lui être hostile… Surtout que la pauvre avait l’air toute gêné de l’avoir interrompue. (Et Altea était de bonne humeur en plus). Cela dit, la jeune femme se demandait bien ce qui lui valait une telle délicatesse de la part de Barbara. Après tout, de la part d’une apprentie tyran de FDP, c’était assez surprenant. Peut-être que c’était son pouvoir puissant qui lui valait davantage d’égards que les autres… ou simplement sa proximité relative avec Basilio ?

-Salut Barbara. Entre, ne t’inquiète pas, je te libère tout de suite la place. Juste le temps d’enchaîner ce morceau, d’accord ?

Sur ce, elle invita Barbara à s’installer sur un siège attenant, et se replongea dans sa musique. Quelques minutes et une gnosienne plus tard, elle sortit de sa bulle musicale et reporta son attention sur sa camarade musicienne… Rien que le fait que Barbara joue de la musique l’incitait à ressentir une forme de bienveillance pour elle. Disons que ça leur faisait au moins un point commun, et que le fait que Barbara puisse aimer la musique faisait qu’Altea la voyait davantage comme une adolescente ordinaire que comme une future supervilaine. (Il faut dire que pour cela, la chanson « Hamilton » aidait bien aussi…). D’ailleurs… le fait de se retrouver toutes les deux autour dans cette salle de musique n’était-elle pas l’occasion d’apprendre à la connaître ? Sauf si elle recherchait de la tranquillité…

- Je suis désolée, j’espère que je n’ai pas été trop longue. Voilà, je te laisse la place ! Sauf si… s’interrompit-elle, une idée lui venant soudainement. Tu as un bon niveau de piano Barbara je crois ? Puisqu’on est là toutes les deux, est-ce que ça te tenterait que l’on joue un quatre-mains ensemble ? ça fait longtemps que je n’en ai pas eu l’occasion… j’ai quelques partitions. Tu aimes un style en particulier ? Euh pardon, je m’emballe mais si tu as un programme précis il n’y a pas de problème, je te laisse t’exercer.

Elle conclut avec un petit sourire. A vrai dire… maintenant que l’idée lui était venue, elle espérait bien que Barbara accepterait. Des quatre-mains, elle en avait surtout joué avec son oncle Adrian, qui aimait beaucoup le piano aussi. Basilio savait en jouer aussi, alors ils s’étaient de temps en temps retrouvés ensemble à appuyer sur le clavier, mais c’était déjà plus rare, il n’aimait pas trop ça. Son cousin avait une nette préférence pour le violon. A l’Institut, elle ne connaissait pas d’autres pianistes en herbe… mais ça allait peut-être changer ?