Magical, Lyrical, Beautiful

avec Artémis

Ce jour ne sera pas comme les autres.

Je n’ai jamais osé lui demander, pourtant, cela fait des mois que cette question me brûle les lèvres. Je pense à elle, au jour où l’on s’est rencontrés pour la première fois. Elle qui sortait de la bibliothèque, des critériums dans ses cheveux, comme si elle volait malgré la montagne de livres qui reposait sur son bras. Moi qui la poursuivait en hurlant, comme un imbécile, et qui lui parle du futur comme si elle pouvait savoir qui était son frère encore à naître, mais qui surtout tombait en arrêt devant elle. Je pense à ses pommettes hautes, à son sourire éclatant et doux à la fois – et j’avoue que souvent, j’ai fait le pitre, j’ai enchaîné les blagues, même des chatouilles, une fois, tout pour voir ce sourire devenu l’objet de mon adoration. Je pense aux heures que nous avons passé à parler, elle et moi, de tout. Je me souviens de toutes les anecdotes incongrues qu’elle m’a raconté, et pas une seule fois je m’étais ennuyé. Des mois qu’il n’y a pas un instant où je ne souhaite pas la voir.

D’habitude, je n’hésite pas. Une demi-seconde, c’est le temps dont j’ai besoin pour faire un choix qui peut changer toute ma vie. Mon intuition me protège et guide mes pas.
Avec les autres, je cerne les personnalités en un instant. Avec elle, tout est différent.
Artémis est un mystère. Je peux passer des minutes entières à l’épier discrètement. J’essaie de deviner ce qu’elle va faire, de percevoir ses pensées, d’avoir l’intuition des ses émotions et de ses décisions. Et souvent, elle me surprend. C’est sûrement son pouvoir qui en échange de mon don m’offre une fascinante incertitude. Et à chaque seconde je voudrais la connaître un peu plus. Je me sens si bien avec elle, j’ai l’impression que je peux lui parler de tout et j’espère que elle aussi. On peut s’amuser beaucoup, rigoler, mais aussi parler de choses beaucoup plus sérieuses, comme la fin du monde. Et elle est si belle.

J’ai mis des mois à me décider, mais maintenant, je sais que je dois lui parler. A chaque fois que mon regard croise le sien, je peine à contenir ma fébrilité. Elle me parle et d’un seule coup, il n’y a plus que sa voix qui compte. J’oublie tout le reste, j’oublie l’apocalypse et la chute des héros, j’oublie le passé, j’oublie le futur. Je pense à ses lèvres que je voudrais embrasser. Je pense à sa voix que je voudrais entendre toujours. Et je me rends compte qu’elle s’est arrêtée, depuis quand, je ne sais pas, longtemps, quelques instants, et je sais qu’elle attend une réponse, et souvent, je rougis et je couvre mon silence maladroitement, avant de réussir à reprendre le fil d’une conversation. Je dois être insupportable. Je me demande comment elle fait pour être toujours amie avec moi.

C’est la bonne chose à faire, je le sais, mais mon cœur tremble quand je la croise dans le couloir, ce matin du mois du mai. Je réunis tout le courage qui existe en moi pour lui faire cette demande.

« Artémis ! Euh… est-ce que… dis… est-ce que tu serais d’accord pour qu’on se retrouve ce soir ? Si tu n’as rien de prévu bien sûr. On pourrait se voir près du lac… tu sais, là où il y a les loutres que j’ai ramené au nouvel an. A 20h30, est-ce que ce serait bien pour toi ? »

Ce n’est même pas une déclaration, mais c’est déjà si difficile… Je me maudis de mes hésitations ! Mais Artémis accepte. Et voilà que je suis en train de tout préparer ! Il est 19h30, je suis au bord de l’étang, et je contemple les ridules tranquilles qui traversent l’eau. Elles sont si à l’opposé de moi ! J’aimerais bien être comme elles, lorsque je dévoilerais mes sentiments à Artémis, si paisibles, si rassurantes… J’ai si peur de faire un faux pas, et de perdre notre amitié… Et si je pouvais être comme ces douces ondulations, peut-être que je pourrais lui faire comprendre que je serais toujours là pour elle-même si elle ne souhaite pas être… être ma… ma copine.

Lors de mes visites à mes chères loutres, j’ai remarqué un banc en piteux état, dans un petit coin tranquille, abrité par quelques arbres fruitiers – bien que ceux-ci n’aient pas donné de fruits depuis des années. Je me suis dit que c’était l’endroit idéal pour s’asseoir avec Artémis… mais peut-être aurais-je dû plutôt apporter une nappe de pique-nique pour que nous nous allongions tout les deux dessus ? oui, je suis trop bête, ça aussi, ça aurait été une bonne idée. Bon ! Ce n’est pas grave ! Je me dépêche de réparer le banc, changer les planches abîmées, couper les ronces tout autour, et une fois que je suis fier du résultat, je file vers ma chambre pour récupérer une nappe ! Et au passage, je me dis que je pourrai avoir besoin de beaucoup d’autres choses ! Et si je prenais un plaid, au cas où elle aurait froid ? Allez, deux plaids parce qu’elle pourrait avoir très froid ! Et si je prenais… OH MAIS OUI ! J’ALLAIS PRENDRE MA GUITARE DU FUTUR ! C’est toujours une bonne idée d’avoir un instrument de musique auprès de soi…

Je dois l’avouer, cela fait plusieurs semaines que j’ai composé une sérénade… pour Artémis. Je n’ai pas osé la faire entendre à qui que ce soit, et je ne suis pas sûre d’oser la chanter… Mais qui n’ose rien… n’a rien ! C’est très étrange, moi qui suis aventureux, qui n’ait peur d’aucun risque, je me sens si timide… Ce serait le moment où jamais.
Cependant, j’ai un peu peur que mes intentions soient trop visibles dès le départ. Et si Artémis faisait demi-tour en me voyant avec un instrument devant le soleil couchant ? Si elle comprenait tout, avant même que je ne puisse lui déclarer mes sentiments ?
Je décide donc de cacher ma guitare derrière un buisson, en lui promettant de revenir la chercher.

Et puis, je m’assois sur le banc, trépignant d’impatience et d’inquiétude… Je suis très en avance, et je ne sais pas quoi faire, alors je m’approche de l’eau, et j’observe mon reflet, pour m’assurer qu’aucun petit défaut rebutant ne soit réapparu depuis que je me suis préparé. Tout va bien : je n’ai pas d’épi ridicule, ma chemise blanche n’est pas tâchée, je n’ai pas de bouton qui me soit poussé sur le nez… Je me force à respirer avec régularité pour me calmer. Je contemple le lieu que j’ai choisi, et je vois au loin deux loutres en train de jouer. Je crois que c’est l’endroit parfait pour parler à Artémis, et que je ne pourrai pas trouver plus romantique dans l’Institut. Je n’avais plus qu’à attendre à ce que le soleil se colore de roses orangés…

Et finalement, Artémis arrive. Dès que je la vois sur le chemin approcher, je lui fais des grands signes, puis je me rapproche d’elle. Je reste un moment muet d’émotion lorsqu’elle arrive à ma hauteur.

« Artémis ! Artémis… Je suis vraiment heureux que tu sois là. Tu veux venir t’asseoir sur le banc ? »

Très doucement, je glisse ma main dans la sienne, pour la guider vers le banc, et pour que nous nous asseyons ensemble. Des lueurs dorées et rouges commencent à teinter le ciel, et je me sens encouragé par ce timing. Mais je ne me sens pas encore capable de tout lui révéler… Je regarde le plus souvent l’étang, mais je ne peux m’empêcher à jeter des regards à la dérobée à cette amie que j’aime.

« C’est joli ici, tu ne trouves pas ? J’aime beaucoup cet endroit… Hmm… Euh… Tu… Tu vas bien ce soir ?  »

« Tu vas bien ce soir ? »…. Mon pauvre Loutron ! Tu es complètement stupide ! Ce n’était pas du tout cela que tu voulais lui dire ! Comment peux-tu commencer une conversation si importante d’une manière si banale ! Ah quel imbécile ! Ah quel idiot !