Intrigue II : Partie 1 - Réveil Nocturne

Mettons les choses au clair. Être réveillée à trois heures du matin par une alarme stridente, ce n'était vraiment pas le pied. Être réveillée à trois heures du matin par les cris de petit chef d'Armand Trueman, c'était encore pire. Ses vocalises avaient manqué de me précipiter au sol, sans parler de la crise cardiaque qui était passée tout près d'avoir ma peau. On a pas idée d'agresser les gens de la sorte, sans déconner. Puis qu'est-ce qui lui prenait, à l'autre tyran à mèche, pour réunir tout le monde au gymnase au beau milieu de la nuit ? Familière des coups fourrés de la direction depuis cette foutue balle aux prisonniers et l'évènement d'Halloween, je perdis rapidement tout sentiment d'urgence. Bon, il n'y avait pas le feu... enfin... j'étais raisonnablement sûre que ce n'était pas le cas... pas vrai ?

- Scheisse...

C'est avec la motivation d'un cachalot échoué que je roulais hors du lit et enfilait maladroitement une veste en jean sur mon kigouroumi Totoro avant de m'y reprendre à cinq fois pour lasser mes tennis. Il était trois heures du matin, pour l'amour du ciel... Mes neurones se refusaient à travailler avant huit heures - et encore...  
Sans conviction, je pris la direction du gymnase, cherchant des yeux Milo ou même Lady. Des deux apprentis héros, aucune trace, ce qui n'était pas très étonnant. Les dortoirs semblaient déjà à moitié désertés. Pour faire bonne mesure, je trainais encore un peu des pieds jusqu'à ma destination. Sans surprise, le gymnase était déjà plein à craquer, et je peinais à reconnaître le moindre visage, du haut de mon mètre cinquante-sept. J'aurais au moins dû voir dépasser la tête de mon père, dont la carrure était inversement proportionnelle à la mienne. Mais non, pas de grand dadais avec des envies de meurtre en vue.
En désespoir de cause, je  finis par me glisser sur un côté du gymnase et repérais finalement Arès. Mon frère. Oui, c'était encore bizarre à dire, et presque autant à penser, malgré le ventre énorme de Mila Harker qui me narguait au quotidien. Arès était peut-être la seule chose venant d'elle que je pouvais tolérer en ce bas monde. Le frangin avait l'air calme, presque stoïque. Immobile, il semblait fixer un point en particulier dans la foule. Sans plus de cérémonie, je l'attrapais par le bras.

- Arès ! T'as pas vu pa...

C'est alors que je repérais la petite bouille perturbée de Loutron à quelques mètres de nous, au milieu de la foule. Il se tenait près d'un homme corpulent, d'un certain âge, que je reconnaissais comme un membre des Harker.
Sans y réfléchir à deux fois, je me faufilais jusqu'à lui, tirant Arès à ma suite - qui n'avait définitivement pas son mot à dire sur la question.

- Hey, ça va ? demandais-je à l'intention du jeune Harker. Tu fais une drôle de tête.

Je l'inspectais de plus près, les yeux plissés et la moue sérieuse.
Mes investigations furent coupées net par l'arrivée de... Mila Fucking Harker. Cette gangrène. La présence de Lila à ses côtés me détendit quelques peu avant que Trueman en personne ne hisse son fessier - et ses cheveux en pétard - jusqu'à la scène. Et tout ça pour quoi ? Annoncer le plus solennellement du monde que sa présence entre nos murs n'annonçait rien de bon.

- No shit, Sherlock, murmurais-je à l'attention d'Arès et Loutron.

Joli pyjama, au passage.

Oh mais elle n'avait pas réellement envie de quitter le confort de son lit, et encore moins les bras de Basilio. Particulièrement courroucée par la nouvelle lubie de Trueman, elle démêla délicatement ses boucles rousses pendant que son colocataire d'une nuit se hissait sur son fauteuil - vraiment, il n'avait pas besoin d'aide, et puis elle n'avait aucune envie de le vexer d'une quelconque manière...
Elle considéra quelques instants la possibilité de s'habiller avant de décider qu'elle ne possédait aucunement la motivation nécessaire pour accomplir un tel effort. Il était trois heures du matin, elle sentait son humeur se dégrader à chaque seconde passée loin de son oreiller en plumes d'autruches et elle avait très envie d'essayer son lance-flammes sur Trueman. Non, décidément, elle n'avait aucune envie de s'embêter à quitter son pyjama, qui n'en était d'ailleurs pas vraiment un. Ayant établi depuis plusieurs mois qu'il n'était pas convenable de sortir ses nuisettes en soie pour dormir avec Basilio, elle avait jeté son dévolu sur un des t-shirts blancs du garçon et sur un short de nuit à carreaux rouges et noires. Tout naturellement, il n'y avait pas un seul poil disgracieux pour gâcher le blanc laiteux de ses jambes et elle se contenta d'enfiler sa veste en daim et ses bottines, sans chercher à les couvrir.
Les couloirs étaient presque désertés quand les deux adolescents sortirent de la chambre, sans se presser le moins du monde. L'air frais de la nuit eut le mérite de réveiller Basilio, qui s'essaya même à une pointe d'ironie :

- On parie quoi comme scénario ? Révolution de zombies ? Accouchement de l'autre folle tarée en direct et qui veut offrir une arrivée spectaculaire à son mioche ?

La jeune fille secoua mollement la tête, grimaçant à la seule idée d'écouter la directrice adjointe gémir comme une truie qu'on égorge et démolir son vagin pour mieux expulser son affreux rejeton chauve - sans parler des vergetures et de la rééducation du périnet qui faisaient de la naissance un événement tout bonnement abominable.

- Je crois que je préférerais encore avaler du cyanure que d'assister à ça, répondit-elle le plus sérieusement du monde. Peut-être que ce geignard de Trueman veut juste pleurer sur son nouvel échec capillaire.

Pour tout dire, elle n'avait aucune idée de la raison de cette réunion improvisée, et elle était bien certaine de s'en moquer. Barbara voulait juste en finir au plus vite avant que ses tendances homocidaires ne la reprennent.
En entrant dans le gymnase, l'adolescente repéra rapidement son aînée, très occupée à se morfondre audiblement au milieu de la foule.

- Quelle drama queen, soupira t-elle assez fort pour que Basilio l'entende.

Sans trop y réfléchir, elle fraya un chemin pour le fauteuil du garçon, qui les mena directement jusqu'à Emma et ses prouesses d'actrice studio, toujours occupée à chouiner en emoji et à se faire essuyer le visage par une surveillante dont Barbara n'avait pas fait l'effort de retenir le nom. Un grand sourire moqueur étira bientôt ses lèvres tandis qu'elle posait les yeux sur le maquillage raté qui barbouillait le visage de sa chère et tendre sœur.

- C'est normal, le noir sur ta joue ? On dirait que t'as galoché une cheminée, glissa t-elle innocemment.

Malheureusement, ses prérogatives de benjamine insupportable furent interrompues par nulle autre qu'Armand Trueman et son affreux pyjama-costume, débutant son discours d'un air grave qui laissa l'adolescente indifférente. Elle devait bien admettre qu'il n'avait pas tort sur un point. Un tel outrage stylistique ne pouvait rien annoncer de bon.
Sa main trouva naturellement l'épaule de Basilio et elle ébaucha un sourire dans sa direction, trop contente de l'avoir auprès d'elle pour supporter le nouveau bullshit qui ne tarderait pas à tous leur tomber dessus.

Elle aurait voulu que Lotre s'agace de son attitude, se vexe, rit voire pleure. N'importe quelle réaction qui aurait permis à Shana de faire étalage d'un mépris de classe qui la caractérisait. Mais non, il fallait que Lotre agisse comme elle l'avait toujours fait ; tenir tête à l'oméga, trouver sa faille, en l’occurrence, celle de l'indifférence. Le pire ? Elle ne semblait même pas faire exprès. C'était un acte aussi naturel que celui de respirer.
A l'époque, Shana aimait que leurs échanges informatiques qui se résumaient parfois à des affrontements virtuels se passent ainsi ; punchlines flegmatiques et smileys vénères. C'était aussi agréable que frustrant de voir qu'on osait tenir tête à sa petite personne sans prendre peur outre mesure de ses coups vicelards. Mais maintenant...
Maintenant ça avait le don de l'agacer. Retour de bâton. Lotre la dérangeait par sa simple existence. Une réminiscence de ce qu'elle n'était pas ; parfaite.
Shana prit son courage à deux mains (qui n'étaient pas tellement disponibles dans la mesure où elles étaient enfoncées dans les poches de son sweat) et se dirigea vers Lotre alors que Trueman baragouinait une semi explication. C'était quoi encore ce plan foireux ? Une débilité capillo-tractée ?
L'oméga se laissa tomber à côté de la grosse mytho.  

- Ahem. A ton avis, qu'est-ce qu'ils préparent comme coup tordu ?