Avatar ? Les chats bleus de l'espace ? Les mouvements qu'opérait Henriette n'avait rien à voir avec mes souvenirs du film... Peut-être qu'elle parlait d'autre chose et cette fois-ci, j'étais celui à ne pas avoir la référence. Ses mouvements étaient très gracieux ! Du coup, je me mettais à la copier, à tenter de reproduire les gestes même s'il n'était plus question de cape. Et à nouveau, j'étais si heureux de la découvrir sous son angle joueur, quand elle lâchait la bride et s'amusait à être dans son monde, à être elle-même, même devant le fantôme d'un professeur du mal.

- Vous avez déjà fait du yoga ? Ou de la danse ? Je vous vois trop faire du hiphop !
- Non, je n'ai jamais fait ni l'un ni l'autre. Vous savez déjà que je suis plutôt à faire des pompes, moi ! J'ai testé plusieurs sports par-ci par-là : la boxe thaï pour les combats rapprochés, le jogging matinal avec une de mes ex (ça, on ne m'y reprendra plus !), principalement de la salle de muscu, mais non jamais de danse. Hip hop, je sais pas, mais j'aime bien les mouvements de rappeur.

Et sur ces mots, je me mis à gesticuler comme si j'étais dans un clip de rap, bougeant principalement mes mains et mes bras. À mon tour, je n'avais pas peur du ridicule, parce qu'il n'y avait qu'elle (et Goodboy) qui pouvait me voir et ils ne me jugeraient pas. Au pire, je gagnais un de ses rires. Je m'arrêtai sur une pose et elle me dit de relever le menton. Ah ? Donnait-elle des conseils à présent ? Les rôles s'étaient-ils inversés ? Ah mais je prends, je prends !

- Vous aussi vous avez enseigné ? C'est génial ça ! Nous voilà un point commun.

J'étais soudainement très intéressé (de toute façon, je l'écoutais toujours avidement quand elle parlait). Certes, je connaissais un peu son passé puisque je l'avais entendu pendant son entretien d'embauche, mais la discussion avait surtout tourné de son ex-fiancé et de... moi. Enfin, son pouvoir à elle où je me suis incrusté. Bref. J'étais trop heureux qu'elle mentionne quelque chose qui la touchait sincèrement.

- Quel type de chorégraphie ? Quel club de danse ? Une fois les réponses obtenues, j'enchainais. Je sais que ça fait qu'une semaine que vous êtes à l'Institut, mais vous êtes au courant que vous avez le droit de proposer de tenir un club en son sein ? Vous pourriez reprendre cette activité qui vous manque, il y a des locaux libres et tout ! Imaginez, Henriette !

Oui, je désirais la convaincre, je désirais qu'elle puisse retrouver ce qui lui manquait, que je puisse lui offrir une parcelle de joie dans sa vie moi qui ne pouvais plus grand-chose depuis mon au-delà. Je voyais la petite lueur au fond de ses yeux et je voulais que cette lueur s'intensifie.

- Bon, à condition que Mlle Mila valide, mais je suis sûre qu'elle n'aura aucune objection au projet.

Ah c'était donc pour cela qu'elle avait mentionné le Hip Hop, parce qu'elle en avait pratiqué ! Rah, Orion, bigre d'andouille, si seulement t'avais su des années à l'avance que tu aurais dû apprendre des moves de cette danse-là dans l'optique de pouvoir partager une petite battle avec une jolie demoiselle, beeen... Ben t'aurais jamais pu savoir en fait. Que c'était frustrant de rater un coche, même avec des années de décalage !

Henriette était épatante. Sous ses airs d'étudiante en médecine plein d'entrain et en même temps d'appréhension pour l'avenir se cachait une jeune qui avait la bougeotte et qui aimait apparemment par dessus tout être proche des gens. Quel ange.
J'avais vraiment envie de la pousser à monter un club, mais son manque d'assurance me ralentit, je ne voulais pas lui forcer la main. Elle m'apparaissait comme une boule de vie qui n'arrivait pas à vivre à son plein potentiel, je n'avais néanmoins aucun droit d'intervenir autant dans sa vie. C'était toujours facile pour moi de dire à mes élèves "lancez-vous, n'ayez pas peur !" mais c'est toujours plus facile à dire qu'à faire. Et puis elle n'avait pas tort, le contexte n'était pas du tout le même. Oui maaaais un cours de danse quoi, je voulais voir ça moi maintenant !

Elle me ramena mon sourire en me demandant de lui pitcher deux-trois mots sur la boxe thaï. Bras croisés, je fis d'abord comme elle à me défiler.
« Ouhla, pfiou, vous savez, ça remonte hein ! Ça date de quand j'étais étudiant, j'ai l'impression d'avoir tout oublié. Encore plus depuis que je ne pratique plus depuis ma fin de carrière de Vilain. M'enfin, on peut toujours essayer ! » Et ensuite je me reprenais. Parce que quelqu'un me demandait un cours et que je ne pouvais jamais résister à telle demande !
Face à face et à distance raisonnable, gigotant sur place comme les personnages d'un jeu de combat, je lui appris les rudiments dont je me rappelais. Rien de folichon mais quand même. « Et je vous ferai dire, jeune femme, que la boxe thaï est inscrite aux Jeux Olympiques. Art de rue, puis quoi encore ? » Oui il est toujours essentiel d'énerver son partenaire pendant un match, héhéhé.

Toutefois, je pris garde à surveiller son rythme respiratoire, le début de ses essoufflements. J'avais retenu la leçon lors de nos pompes communes. On était là pour s'amuser, pour transformer le temps qu'elle m'accordait en bon moment, hors de question que j'épuise son système vital encore battant.
Ainsi je mis fin assez vite au petit tour des gestes dont je me rappelais et déclarai :

« Sachez qu'un jour, si vous tenez vraiment à effrayer un super-vilain, dites-lui simplement que vous êtes attendue au plus vite dans le bureau de Mlle Mila et que vous allez dire que c'est de leur faute si vous êtes en retard. Tout le monde sait qu'elle n'aime pas attendre et personne ne veut être la cible de ses foudres. Bon il est vrai que cette excuse ne fonctionne pas de 21h à 6h... »

Pendant que je discutai, je vins me rassoir devant la maison, j'en avais marre d'être debout. Oui, même fantôme, on peut en avoir marre d'être debout. Je soupirai et pris une moue plus pensive.

« Vous savez, je crois que moi aussi ça me manque d'enseigner. J'avais vraiment trouvé ma place en tant que prof. »

Woho quoi ? Mais c'est qu'elle me faisait sursauter la surexcitée soudaine là ! Immobilisé en pleine pose de surprise, je la regardai se mettre à mon niveau avant de laisser mes mains et mes bras lentement retrouver leur position normale pendant son discours. (Pour une fois qu'elle monologuait plus que moi.)

Je saisissais ses paroles mais je n'étais pas sûr de comprendre... Sourcils froncés, mes prunelles naviguaient entre les siennes pour tenter d'y saisir un sens, l'explication de cette soudaine agitation. Elle me réexpliquait son pouvoir. Oui, je m'en rappelle mais bon je ne vais pas lui refuser la piqûre de rappel vu comment ça a l'air de la rendre heureuse. Mais pourquoi ? Elle voulait invoquer des danseurs de hip hop pour les cours qu'elle donnerait ? Non ? Quoi alors ? Qu'est-ce qui a bien pu tilter dans votre tête, mademoiselle Henr...
Oooooh !
"Professeur Press, le Retour !" Mais ouiii !
Je me relevai d'un coup, un sourire d'illuminé sur les lèvres. Henriette m'apportait tant de vie et maintenant un avenir ?! Merci à tous les dieux et Lucifer !
Trop excité à mon tour par son énergie communicative, je me mis à faire les cent pas sur place, le bout de mes doigts sur les tempes, subissant déjà le flot des pensées de tout ce que ça engendrerait et demanderait. Je fus toutefois vite interrompu par son histoire de salaire.

« Eh ! Je sais que je n'ai plus besoin d'argent, mais quand même ! Ayez l'air un peu plus compatissante avant de parler de piquer mon salaire, jeune fille ! »

Je plaisantais bien sûr. J'avais bien compris que le respect était mort qu'elle ne pensait pas à mal et en plus, elle avait complètement raison et je serai heureux de lui rajouter du beurre dans les épinards. Ce que son pouvoir m'offrait valait tout l'or du monde de toute façon.

Je ressentais cependant des doutes, les premiers depuis bien longtemps.

« Mais... ça va faire bizarre, non ? De voir un mort revenir comme ça. Mila, les collègues, certains élèves... J'veux dire, vous vous avez l'habitude des fantômes et de pouvoir les faire apparaître, mais c'est du jamais vu à l'Institut. Enfin moi j'avais jamais vu ça. »

Les cent pas avaient repris mais cette fois, mes ongles pianotaient mes lèvres inférieures et mon regard était ombragé. J'avais besoin d'être rassuré. Maintenant qu'il y avait une possibilité, je reculais. Ça ne me ressemblait pas. Je crois. Pas professionnellement en tout cas.

La sensation de frais que sa main vivante avait engendré dans ma main morte m'avait ralenti sans attendre et je la regardais, toujours emprunt de mes doutes et le cœur battant d'un simple contact, de cette simple avancée ingénue de sa part vers moi.
Et ses mots me touchaient aussi déjà. Plus que tout, je voulais de ce futur utopique que je n'avais jamais osé rêver, je voulais y croire, m'y jeter à corps perdu. Si elle était à mes côtés, rien de mal ne pouvait arriver. Enfin, à l'échelle d'un employé Trueman, si bien sûr que tout pouvait mal se passer, il pouvait y avoir mille déviations rocambolesques mais rien d'irrattrapable.
J'avais déjà donné mille cours, je saurais comment faire. C'était comme reprendre le vélo, ça reste ancré à vie une fois appris. Oui ok, mais... c'était toute la phase avant qui me déstabilisait.

Je continuais d'écouter Henriette, d'être ragaillardi par ses paroles et réchauffé par son regard et sa voix. Et je finis par retrouver un sourire jusqu'aux oreilles quand elle en était arrivé à trépigner. Encore une fois, je n'arrivais pas à me sortir de la tête qu'elle était un ange qu'on m'avait envoyé. Elle maîtrisait par trop bien l'art de me rendre heureux. Que devais-je faire de ce bonheur maintenant ? Devais-je céder à toutes ses demandes comme un être dont le cœur était pris ? Ou devais-je céder à mon côté Vilain et jouer le faussement convaincu ? Hum, les deux. Les deux, c'est bien.
Mon sourire et mes yeux prirent un air plus malin dont Loki n'aurait rien à envier, un de mes sourcils un peu levé, la tête un peu penchée.

« Des dizaines et des dizaines de personnes n'écoutant que moi ? Rien que ça ? Et vous béaaaate au milieu ? Mmh oui, il y a de quoi être tenté... Je pourrai de nouveau exercer mon pouvoir sur tous ces agneaux innocents, vous serez tous obligés de m'écouter ! C'est peut-être ça mon terrible pouvoir, forcer les gens à m'écouter ? Très pratique pendant les monologues de Super-Vilain. Eh oui, Goodboy ! »

Ce chien était revenu bondillonner ("faire des petits bonds", par moi) près de nous et j'en avais perdu toute ma consistance. Me baissant à son niveau, je lui caressais la bouille de mes deux mains, lui demandant "Alors, je dis oui ou pas, hein ?". Je me relevai et déclarai :

« Goodboy a tranché, j'accepte le marché ! Je propose qu'on attende même de voir si le premier cours fonctionne avant que vous ne lanciez votre club de hip-hop. Et... j'aurais besoin de quelques jours pour préparer ce que nous dirons à Mlle Mila, j'ai besoin qu'on soit béton. »

Soit c'était par nature, soit c'était une habitude que j'avais prise durant mes années en tant qu'Enjôleur, mais j'avais systématiquement besoin d’échafauder mes plans. Plus tard, j'échafaudais le déroulé de mes cours. Je n'aimais pas improviser. Mon pouvoir et mon talent comptait beaucoup sur la surprise et les bonnes surprises se calculent méthodiquement à l'avance.
Bon de toute façon, je savais même pas si elle avait entendu la suite après "j'accepte" vu comment son trépignement avait explosé ! Quelle adorable enfant.

Je jetai un œil au ciel. Le soleil donnait complètement désormais. Je lui avais mangé assez de temps comme ça.

« Je devrais vous laisser. Merci pour tout, Henriette, réellement. On va faire comme on a dit, je prépare nos arguments et je reviens vous voir quand je suis prêt, ok ? Vous... Profitez bien de votre dimanche. »