Barbara Gward-Chevalier n'était pas le genre de personne à prendre les affronts avec grâce. Tout au contraire, elle aimait à rappeler au reste du monde qu'on ne se moquait pas d'elle sans en payer les conséquences. Or, il était certain qu'aux yeux de la jeune oméga, cette pimbêche écervelée de Tulipe Dujardin méritait une petite correction de sa part. L'odieuse créature de dix-huit ans avec laquelle elle naviguait dans les hautes sphères de la bourgeoisie, qui était aussi fortunée, sinon plus, que la famille Chevalier, cette blonde décolorée aux seins plastifiés, cette petite tchoin de Tulipe avait "omis" de l'inviter à la plus grande soirée mondaine de l'année pour le monde adolescent de l'élite française. Pour 2020, l'apprentie Paris Hilton s'était particulièrement dépassée en réservant la plus belle salle de réception du Ritz, avec l'appui de relations haut placé et de pots de vins glissés dans les bonnes poches. Evidemment, elle avait pris soin d'inviter les habitués des rallies parisiens. Exception faite de Barbara, de toute évidence.
Certes, la rouquine aurait pu passer le réveillon sur le yacht de son père, au large du Pacifique, et siroter du champagne dans des flûtes Baccarat en observant les reflets des lanternes sur les remous noirs de l'océan. Oui, elle aurait pu laisser couler et pardonner... Naturellement, elle avait choisi de faire tout le contraire. Plutôt que de se résigner à son sort de mal-aimée, la jeune Chevalier avait décidé de mettre à profit son statut d'étudiante super-vilaine. Si l'Institut Trueman voulait ajouter un peu de fantaisie à cette morne soirée de décembre, elle acceptait gracieusement de se prêter au jeu.
Se faufiler à l'intérieur du Ritz n'avait pas été une tâche très ardue ; l'adolescente avait sa propre formule magique pour mater les vigiles les plus récalcitrants. Jacques a dit par ci, Jacques a dit par là... Barbara ne chômait pas. Il fallût une petite vingtaine de minutes pour que la reine de la soirée ne la remarque.

- Barbara ? Barbara Gward ?

Tulipe la fixait avec des yeux ronds, passablement confuse. Elle faisait particulièrement vulgaire dans sa petite robe bleue Dolce Gabbana, qui ne laissait aucune place à l'imagination. La Chevalier avait quant à elle opté pour une couleur plus... vivante. Le rouge vif de sa robe dos nu Channel n'avait d'égal que l'éclat roux de ses cheveux, relevés en chignon. Elle s'était fendue d'un sourire aimable en voyant l'adolescente à loques blondes approcher.

- Tiens, Tulipe ! Salut !

L'apparente décontraction de Barbara ne faisait que nourrir la nervosité de la jeune fille.

- Euh... je... qu'est-ce que tu...

- Fais là ? Je me suis dit que mon invitation avait dû se perdre en route. Ca aurait été dommage de manquer cette soirée pour une bête erreur de la poste, n'est-ce pas ?

Tulipe ouvrit la bouche pour répliquer, mais ne termina jamais de former la moindre syllabe.
GLING, GLING
Les invités tournèrent tous la tête de concert en direction du plafond.
GLING, GLING
L'immense lustre en cristal se balançait dangereusement, l'applique cédant un peu plus à chaque instant sous le poids de l'imposant luminaire. Avec un silence religieux, les invités regardèrent l'immense suspension osciller dangereusement. Si le lustre tombait, il était certain que l'obscurité qui s'abattrait sur la salle ne durerait que quelques instants... avant que les tapis persans ne prennent feu. Il fallait encore mentionner la suite des évènements... Si les minions "recrutés" par Barbara avaient fait correctement leur travail et si les produits d'Orian étaient efficaces, le buffet ne tarderait pas à exploser à son tour, bombe après bombe, puis la pièce montée de dix étages partirait en morceaux sur les murs, et enfin les larges baies vitrées sauteraient une à une en fragments de verre aiguisés. Si tout fonctionnait comme prévu, et elle ne doutait pas que ce fût le cas... Barbara n'aurait plus qu'à souhaiter ses meilleurs vœux à Tulipe Dujardin. Et à la revoyure, pétasse.